Jean-Luc Godard a eu recours au suicide assisté: «Il n’était pas malade, il était simplement épuisé»
Le cinéaste franco-suisse, mort ce mardi à l’âge de 91 ans, a eu recours à cette pratique autorisée et encadrée en Suisse.
«Quand vous mourrez, le plus tard possible…» Jean-Luc Godard, cigare aux lèvres, coupe le journaliste dans sa question: «non pas forcément le plus tard possible.» Nous sommes en 2014, en marge du Festival de Cannes. Le réalisateur d’Adieu au langage, film alors en compétition, est invité de l’émission Pardonnez-moi, à la Radio télévision Suisse (RTS). Le journaliste reprend : «Vous n’êtes pas pressé [de mourir] ?» Godard grimace. «Je ne suis pas anxieux de poursuivre à toute force. Si je suis trop malade, je n’ai aucune envie d’être traîné dans une brouette… Pas du tout.» Pourrait-il avoir recours au suicide assisté en Suisse, où il réside depuis les années 1970 ? «Oui», confie-t-il, avant d’ajouter que, «pour l’instant» cette mort choisie «c’est encore très difficile».
Le cinéaste franco-suisse, qui s’est éteint ce mardi à l’âge de 91 ans, a finalement réussi à aller au bout de ses convictions. Son épouse Anne-Marie Miéville et ses producteurs ont confirmé sa mort en fin de matinée expliquant qu’il était «décédé paisiblement à son domicile entouré de ses proches», à Rolle, sur les rives du lac Léman. «Il n’était pas malade, il était simplement épuisé, précise un proche de la famille à Libération. Il avait donc pris la décision d’en finir. C’était sa décision et c’était important pour lui que ça se sache.» Une autre personne proche du cinéaste confirme ces informations.
Autorisé en Suisse
En Suisse, l’assistance au suicide est autorisée. L’article 115 du Code pénal suisse, qui date de 1937, stipule seulement que «celui qui, poussé par un mobile égoïste, aura incité une personne au suicide, ou lui aura prêté assistance en vue du suicide, sera puni d’une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d’une peine pécuniaire». Le «mobile égoïste» laisse donc une marge importante d’appréciation, permettant à des associations comme Exit, Dignitas ou Life circle d’aider médicalement les gens à mourir.
«Je demande souvent à mon médecin, mon avocat, comme ça: «est-ce que si je viens vous demander des barbituriques […] de la morphine, est-ce que vous m’en donnerez»… Je n’ai eu encore aucune réponse favorable», disait ainsi le réalisateur de la Nouvelle vague en 2014.
S’il n’était pas malade, selon ses proches, le réalisateur a, tout au long de sa carrière, eu une réflexion philosophique sur la question du suicide. «Godard est fasciné par le suicide», écrit ainsi le critique de cinéma Jean-Luc Douin dans Jean-Luc Godard. Dictionnaire des passions. Jeune, le cinéaste «transporte une lame de rasoir dans son portefeuille», rappelle le journaliste. «Rohmer l’a trouvé un jour dans son studio, baignant dans son sang, pour une idylle brutalement achevée. Un soir, pendant le tournage d’Une femme est une femme, il se dispute si violemment avec Anna Karina qu’il se taillade les veines.»
«Je pense à la souffrance. Le reste, non»
En 2004, à Libération, le réalisateur de Pierrot le fou (1965) confiait avoir fait une tentative de suicide «sous une forme un peu charlatanesque», après 1968. «Pour qu’on fasse attention à moi», disait-il. Dans Notre musique (2004), il fera lire à une comédienne une phrase d’Albert Camus tirée du Mythe de Sisyphe : «Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : le suicide.» Dans ses films, le thème du suicide est souvent présent. En 1987, dans Soigne ta droite, il met dans les mains de Michel Galabru Suicide, mode d’emploi, un livre interdit à la vente en France quelques années après sa sortie, en 1982.
«Vous l’avez toujours [le livre] ?», lui demandera le journaliste Patrick Cohen, lors d’un long entretien sur France Inter en 2014. «Oui, oui, répondait alors Godard. Il y a longtemps que je ne l’ai pas feuilleté…» Dans cette même interview, le cinéaste assurait ne pas penser à la mort, mais «à la souffrance». «Le reste, non.»
Source :
« Libération » – 13.09.22