Le 7 janvier 2023, une chroniqueuse pour un tabloïd privé populaire de Montréal publiait un billet d’humeur sur l’élargissement des lois sur l’aide médiale à mourir. Quelques précisions s’imposent dès lors que cette chronique est utilisée ailleurs dans le monde pour contrer des débats démocratiques.
1) « Nous nous apprêtons à franchir le pas de l’aide médicale à mourir au suicide assisté comme si c’était dans l’ordre normal des choses. »
Le « suicide assisté », mauvaise terminologie s’il en est, existe déjà dans la loi canadienne (code criminel, de compétence fédérale) : un médecin ou une infirmière praticienne spécialisée (IPS) peut déjà donner une prescription à une personne qui désire l’aide médicale à mourir (AMM) et prendre la médication par voie orale elle-même. C’est pourquoi le terme « d’aide médicale à mourir par voie orale » serait préférable à celui de « suicide assisté » qui a bien sûr une connotation sociale dont il faut tenir compte. Cette modalité par voie orale est possible dans tout le Canada depuis 2016, date de mise en vigueur de la loi, mais pas au Québec où la loi (civile) est antérieure (2015) à celle du Canada.1
2) « En 2023, Ottawa va ouvrir la porte à l’AMM pour les personnes souffrant exclusivement de maladie mentale. »
Un comité mixte et transpartisan de sénateurs et de députés fédéraux travaille depuis plus de 6 mois sur cet aspect de l’élargissement de l’AMM aux patients qui souffrent « d’un trouble de santé mentale comme seule pathologie » (TSMSP). La raison en est très simple : refuser à ces personnes un droit reconnu pour les autres citoyens devient de la discrimination en raison d’un diagnostic et donc contraire aux dispositions de la charte des droits et libertés du Canada. Cela dit, tous les experts et tous les groupes concernés sont d’accord sur le fait que les balises doivent être très serrées, en particulier en ce qui concerne l’évolution de la personne au fil des décennies précédant sa demande. A priori, aucun diagnostic ne peut être exclu, mais toutes les démarches thérapeutiques devront avoir été accomplies avec sérieux au fil des années (décennies) et bien sûr avec une équipe multidisciplinaire dont le jugement sur l’admissibilité du demandeur sera primordiale.
3) « Du côté de Québec, on planche sur le droit de préprogrammer notre mort advenant un diagnostic de démence comme l’Alzheimer, ce qu’on appelle, dans un grand euphémisme, le consentement anticipé. »
1Il est nécessaire de rappeler que si 5 % des décès (sur près de 70 000) au Québec (chiffres de la période 2021-2022) le sont par AMM, cela signifie que 95 % des décès surviennent à la fin du processus « naturel » de vie et de maladie exception faite des 350 décès sur la voie publique et de quelques autres décès accidentels, heureusement très rares.
Une précision s’impose d’emblée : la demande anticipée dans le cas d’une pathologie neurodégénérative cognitive (PNCD) confirmée est étudiée tant au fédéral qu’au niveau provincial. Il ne s’agit pas du tout d’un euphémisme, mais bien d’une demande formelle anticipée qui permettrait à la personne atteinte, alors qu’elle est encore apte, de préciser quels sont les critères qui mèneront à l’opérationnalisation de sa demande lorsqu’elle ne sera plus apte à décider pour elle-même, et selon ses propres valeurs de dignité et d’autonomie. Précisons aussi que La Société Alzheimer Canada supporte cette position2.
4) « Il fut une époque où la mort était quelque chose de sacré qu’il fallait manipuler avec toute la délicatesse d’un joyau inestimable. »
Et c’est toujours le cas : l’aide médicale à mourir est un soin qui permet de donner à la personne souffrante et selon son désir toute la délicatesse, la compassion et l’empathie que son état nécessite. Nous qui avons accompagné des centaines de patients et leurs familles dans ces derniers moments connaissons dans notre cœur le soulagement et la délivrance que nous leur apportons, traduits par l’immense reconnaissance que ces patients nous témoignent juste avant de mourir en douceur, en présence de leurs proches.
5) « Près de 8 ans plus tard, maintenant que l’aide médicale à mourir est un droit, tout va beaucoup plus vite. »
L’AMM n’est pas un droit : la demande d’être évalué en vue de l’AMM est un droit, mais la personne doit satisfaire aux critères stricts de la loi pour obtenir le soin et terminer ses jours en toute connaissance de cause selon ses valeurs propres de dignité et d’autonomie.
6) « Mais dans cette course vers une mort digne, quelle réflexion avons-nous consentie sur la valeur de la vie, la valeur de la vieillesse ? L’Alzheimer serait-il si horrible si on s’occupait bien de nos aînés en perte d’autonomie ? (…) Je sais juste qu’on en a peu débattu au-delà du cercle exclusif des commissions d’experts et de parlementaires. »
La question des demandes anticipées en cas de PNCD est une demande de la population qui revient continuellement. Un sondage (novembre 2021) du Collège des Médecins du Québec3fait état d’un appui de près de 80% de la population à cette question et de 65 % du corps médical.
La question ici n’est pas de savoir si on s’occupe plus ou moins bien des aînés en perte d’autonomie – question certes importante- mais bien plutôt de comprendre la détresse qui peut toucher un être humain qui a vécu toute sa vie de façon autonome et qui sait que de façon certaine, elle vivra ses dernières années en ne sachant plus qui elle est, où elle est, ne reconnaissant plus ses proches, et dans une situation où la mort est inéluctable dans une déchéance certaine. Certes, la valeur de la vie et de la vieillesse
2 https://alzheimer.ca/sites/default/files/documents/%C3%89nonc%C3%A9-de-position-Demandes anticip%C3%A9es-Soci%C3%A9t%C3%A9-Alzheimer.pdf
3 http://www.cmq.org/cmq.org/page/fr/sondage-medecins-la-population-favorables-amm.aspx
doit être au centre de nos préoccupations comme société, mais au-delà des années que l’on peut ajouter à la vie, il est surtout important de donner de la vie aux années dans le respect de la dignité que chacun conçoit pour lui-même. Il est pertinent de rappeler ce que la Cour suprême du Canada avait écrit dans sa décision historique du 6 février 2015 : « Le droit à la vie ne doit pas se transformer en obligation de vivre »4
4 https://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/fr/item/14637/index.do
Dr Georges L’Espérance, MD, MScS
Prestataire d’AMM Neurochirurgien,
Président de l’AQDMD
Professeur adjoint de clinique, Université de Montréal
Membre de la CPAQ et de CAMAP/ACEPA
Dr Guy Morissette, MD
Prestataire d’AMM
Coordonnateur de soins d’AMM au CISSS de l’Outaouais
Membre de la CPAQ et de CAMAP/ACEPA
Membre du Comité conseil AMM au PDG du Collège des médecins du Québec
Dr Alain Naud, MD
Prestataire d’AMM
Médecin de famille et de soins palliatifs
Professeur titulaire de clinique – Université Laval
Membre de la CPAQ et de CAMAP/ACEPA
Dre Natalie Le Sage, MD, PhD
Prestataire d’AMM
Spécialiste en médecine d’urgence et clinicienne-chercheuse
Professeure titulaire de clinique, Université Laval
Membre de CAMAP/ACEPA
Dr Pierre Viens, MD, MSc, PhD, OC
Prestataire d’AMM
Médecin de famille spécialisé en soins palliatifs
Fondateur et Animateur de la Communauté de pratique AMM-Québec (CPAQ) Membre de CAMAP/ACEPA (Association canadienne des évaluateurs-prestataires d’AMM)