Les deux ministres en charge du débat national, Agnès Firmin Le Bodo et Olivier Véran, étaient à Genève, vendredi 27 janvier, pour un « voyage d’observation » au pays où l’assistance au suicide est une liberté, mais pas un droit.
Dans le débat national sur la fin de vie initié par le président Macron le 13 septembre dernier, l’« exemple » des voisins européens qui ont opté pour « l’aide active à mourir » – euthanasie ou suicide assisté – est devenu un incontournable sujet d’étude, sinon d’inspiration.
Dès le 29 septembre, le ministre du renouveau démocratique Olivier Véran occupait ce terrain avec une visite éclair au centre hospitalier de la Citadelle, à Liège, en Belgique, pays qui a légalisé l’euthanasie dès 2002.
A la découverte du système suisse du suicide assisté
Vendredi 27 janvier, on le retrouvait aux côtés de sa collègue, Agnès Firmin Le Bodo, ministre chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé, qui a décidé, à son tour, de se lancer dans une série de « voyages d’observation » à l’étranger, avec une première étape à Genève, à la découverte du système suisse de suicide assisté.
Pour l’occasion, une dizaine de députés et de sénateurs entourent les deux ministres pour assister à la présentation faite par les autorités helvétiques aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) qui accueillent, pour une poignée d’heures, la délégation.
Le timing étant serré, Mauro Poggia, président du Conseil d’État du canton, rappelle sans tarder les grands principes qui fixent le cadre légal au niveau fédéral. « En Suisse, l’assistance au suicide n’est pas considérée comme un droit mais comme un acte non punissable s’il n’est pas motivé par un motif égoïste. C’est une liberté reconnue aux citoyens. Pour autant que les recommandations faites par l’Académie des sciences médicales pour encadrer la pratique soient respectées », résume-t-il.
Trois critères pour le suicide assisté
C’est dans ce cadre juridique très lâche que tout résident suisse ou étranger – une quarantaine de Français font chaque année le voyage – peut demander à un médecin, le plus souvent par l’entremise d’une association accompagnante, de lui prescrire le produit létal pour peu qu’il réponde à trois critères – être capable de discernement, formuler son désir de mort de manière libre, souffrir d’une maladie qui engage le pronostic vital – et qu’il puisse effectuer lui-même le geste fatal. En 2019, près de 1 200 personnes ont ainsi eu recours au suicide assisté, ce qui représente 2 % des décès.
« Ce modèle repose sur la confiance, les seuls contrôles étant effectués, a posteriori, par la police pour s’assurer du respect de la procédure, ce qui conduit très rarement à des poursuites », enchaîne Samia Hurst-Majno, médecin et bioéthicienne. Un système qui, semble-t-il, fait l’objet d’un large consensus dans la population et serait de mieux en mieux accepté par les soignants. « Une enquête réalisée en 2019 auprès de 4 000 médecins hospitaliers montre que 73 % approuvent la pratique du suicide assisté à l’hôpital », souligne le professeur Arnaud Perrier, directeur médical des HUG.
Le tableau paraît idéal, mais la délégation française veut en avoir le cœur net. « Est-il exact qu’un suicide assisté coûte autour de 10 000 € ? », lance Olivier Véran. « En Suisse, les soins palliatifs sont arrivés après le suicide assisté. Comment s’articulent les deux ? », interroge Agnès Firmin Le Bodo.
Beaucoup de craintes à lever
Le feu roulant des questions/réponses se poursuit lors d’un déjeuner de travail autour de l’éthique et d’un pavé de veau aux artichauts. « Cette visite est une bouffée d’oxygène, se réjouit la sénatrice écologiste Raymonde Poncet-Monge. Elle montre que soins palliatifs et aide à mourir ne sont pas opposés, comme le prétend une partie du corps médical français, mais complémentaires. » Béatrice Bellamy, députée Horizons de Vendée, paraît plus circonspecte : « Les Suisses sont sans doute pragmatiques et sages, mais ce modèle est-il exportable en France et est-ce la priorité ? À ce stade, je ne suis sûre de rien. »
Dans le minivan qui ramène les ministres à l’aéroport, ceux-ci se montrent tout aussi prudents dans leurs réponses aux journalistes qui les accompagnent, dont celui de La Croix. Le suicide assisté est-il une option ? « Toutes les options sont sur la table, réplique Olivier Véran. La Convention citoyenne planche sur le sujet en toute liberté. À elle d’éclairer le gouvernement et les parlementaires ». « En France, il y a encore beaucoup de craintes à lever. La discussion est indispensable, mais cela passera par la loi », avance Agnès Firmin Le Bodo. Avant d’ajouter, dans un sourire : « Si loi il doit y avoir. »
En attendant le prochain « modèle français », la ministre a déjà inscrit trois autres pays à son programme : un passage obligé par la Belgique en février, puis sans doute l’Italie, qui hésite encore entre interdit et ouverture, et enfin l’Espagne, dernier pays européen à avoir légalisé l’euthanasie en 2021.
Reportage d’Antoine d’Abbundo pour LA CROIX, publié le 28 janvier 2023