Si le discours de Régis Aubry sur la Sédation Profonde et Continue Maintenue jusqu’au Décès (SPCMD) a quelque peu évolué dans la forme, y introduisant une dose de doute et d’humilité, le fond n’a pas changé depuis 2016.
Après avoir reconnu à juste titre que la recherche scientifique était quelque peu difficile à réaliser chez un malade souffrant et agonisant, Régis Aubry a maintenu le 4 février devant la Convention Citoyenne pour le Fin de Vie un certain nombre d’affirmations facilement contestables :
- Si le diagnostic de « maladie grave et incurable » peut s’appuyer sur des éléments objectifs, le pronostic à court terme ne peut s’appuyer que sur une impression subjective. Est bien présomptueux le médecin qui peut prévoir la survenue de la mort et faire la différence entre « quelques jours » (indication d’une SPCMD) et quelques semaines (refus officiel de la SPCMD).
- On ne peut affirmer que la suppression de l’alimentation (déjà effective chez des malades atteints de maladie grave et incurable) et la suppression de l’hydratation vont de pair. L’hydratation est une question de confort. Les grévistes de la faim suppriment leur alimentation, mais pas leur hydratation, ce qui serait source de souffrances (soif, encombrement bronchique…).
- Prétendre qu’il suffit d’humecter la bouche du « déshydraté » toutes les deux heures pour supprimer la sensation de soif relève plus d’une affirmation idéologique que d’une évaluation scientifique fort difficile à réaliser. De plus, humecter toutes les deux heures la bouche d’un mourant, la nuit comme les week-ends, relève du vœu pieux.
- Justifier la déshydratation en affirmant que l’hydratation entraîne des œdèmes est erroné. Tout dépend, bien sûr, de la quantité de liquide apporté. A trois litres, c’est une évidence, mais l’hydratation dite de confort est préconisée aux alentours d’un litre et n’entraîne aucun œdème.
- Affirmer que la méthodologie proposée pour la SPCMD (associant déshydratation, sédatif, et morphiniques) ne modifie pas l’évolution de l’agonie et que le malade décède toujours des suites de sa maladie défie l’évidence et voudrait rendre « naturel » ce qui ne l’est pas.
- Ne rien dire sur des conditions dans lesquelles doivent s’effectuer les changements de posologie de l’Hypnovel(Midazolam) en fonction de l’état de conscience est un oubli coupable. Dans le texte de l’HAS, il est prévu que le médecin passe deux fois par jour si la SPCMD est instaurée en ville et trois fois par jour si c’est en EHPAD. Un souhait bien théorique, compte tenu de la situation de la démographie médicale aujourd’hui et de la surcharge de travail du personnel soignant. Totalement illusoire dans les EHPAD.
- Enfin pourquoi réduire les doses de Midazolam pour obtenir un état bancal de la vigilance quand l’intitulé de la loi exige « la sédation profonde et continue ». Il suffit d’augmenter les doses de sédatifs pour obtenir une agonie brève, la seule qui soit humaine.
J’aurais aimé poser une question au docteur Aubry : « Cher confrère, avez-vous précisé dans Vos Directives Anticipées l’acceptation de la déshydratation et d’une sédation aboutissant à une agonie d’une durée imprévue ? » (7 à 14 jours comme cela est évoqué dans le texte de la HAS, sans preuve scientifique. De nombreux témoignages évoquent des durées beaucoup plus longues).
En ce qui me concerne, j’ai écrit dans mes Directives anticipées : « Si je ne peux bénéficier d’une Aide active à mourir et que je dois accepter une SPCMD, j’interdis qu’on me déshydrate et demande une sédation profonde et indolore, avec des doses de sédatifs suffisamment importantes pour que mon agonie soit la plus brève possible. » C’est ce que souhaite l’immense majorité des malades. Comme nombre de médecins, je l’ai prescrite ainsi chaque fois que cette demande m’a été faite.
Docteur Denis Labayle
Ancien chef de service de Gastroentérologie
Auteur de « Le médecin, la liberté et la mort »(Plon)
Co président d’honneur de l’association Le choix. Citoyens pour une mort choisie.
photo Futurhit1