« Légaliser l’euthanasie, n’est-ce pas renoncer à la construction de notre projet collectif ? »
Tribune
Jean-Marc Sauvé
Le haut fonctionnaire estime, dans une tribune au « Monde », que la principale question que doit se poser le gouvernement concernant le projet de loi sur la fin de vie est celle des impacts sur la société et sur la médecine.
A la suite de la convention citoyenne sur la fin de vie, le gouvernement a décidé de présenter un projet de loi sur l’aide active à mourir. Indépendamment des questions juridiques que pose cette réforme, elle a des implications sociales, éthiques et médicales qu’il faut savoir regarder.
La société ne peut être considérée comme la seule coexistence de libertés individuelles, qui n’imposeraient à chacun aucune obligation vis-à-vis des autres. Le dérèglement climatique, les épidémies, les questions migratoires le rappellent chaque jour. Le courant en faveur d’une légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté qui se réclame du droit à l’autonomie de l’individu, mis en exergue en 2020 par la Cour constitutionnelle fédérale allemande, méconnaît cette dimension essentielle. Il revendique la maîtrise de la mort par l’individu, présentée comme l’ultime liberté. La vulnérabilité, le handicap, la maladie, la vieillesse, la dépendance, qui font partie de l’existence, sont refoulés de cette vision du monde. Le soin et la sollicitude n’y trouvent pas leur place.
Ce prisme individualiste feint d’ignorer les effets du signal envoyé par une légalisation de la mort provoquée sur des personnes âgées ou souffrant de troubles psychiques. Comme si celles-ci ne seraient pas conduites à intérioriser davantage encore leur rejet par la société. Ce risque n’est pas une vue de l’esprit. Déjà en 2012, le professeur Didier Sicard faisait valoir que « les contraintes économiques qui vont dans tous les cas augmenter peuvent susciter un sentiment de culpabilité chez les personnes en perte d’autonomie pouvant les conduire à formuler une demande d’euthanasie ». La perception d’être une charge pour les proches explique 53 % des cas de recours au suicide assisté en Oregon en 2021 et 36 % des cas d’euthanasie au Canada.
L’alibi d’une détresse
Dans une tribune au « Monde », un médecin démissionnaire d’une commission régionale néerlandaise de contrôle d’application de la législation relative à l’euthanasie faisait part de son expérience : « Ce qui est perçu comme une occasion bienvenue par ceux qui sont attachés à leur autodétermination devient rapidement une incitation au désespoir pour les autres. » L’euthanasie devient ainsi l’alibi d’une détresse que l’on n’a pas voulu ou su prévenir. Elle n’a par ailleurs aucun impact sur le nombre des suicides, qui augmente là où elle est légalisée. Il faudrait aussi expliquer comment la légalisation du suicide assisté peut se concilier avec une politique de prévention du suicide. Le Bundestag ne s’y est pas trompé, privilégiant, le 6 juillet, la prévention du suicide par rapport à un élargissement du champ du suicide assisté.
La satisfaction de la revendication d’autonomie présente également un intérêt économique peu avouable, mais réel. Dans un rapport sur l’application de la loi sur l’aide active à mourir, le Parlement canadien a fait état d’un gain net de 87 millions de dollars canadiens [soit 59 millions d’euros] en 2021. La dernière ruse de notre société matérialiste ne serait-elle pas de s’abriter derrière la noble cause de l’autodétermination individuelle pour masquer une offre insuffisante de soins, notamment palliatifs, et alléger le fardeau de la solidarité envers les plus âgés et les plus fragiles de ses membres ?
L’exercice de la médecine serait par ailleurs conduit à effectuer un grand bond en arrière sur le plan éthique. En imposant collégialité et transparence aux arrêts de traitement et aux sédations profondes et continues jusqu’au décès, les lois Leonetti et Claeys-Leonetti ont eu le mérite de mettre fin à des décisions médicales solitaires. A l’inverse, il est démontré qu’en Belgique, où l’euthanasie fut légalisée en 2002, le second médecin n’est pas systématiquement consulté et 30 % des euthanasies ne sont pas déclarées à l’instance de contrôle. L’encadrement légal s’est révélé illusoire : faute de garde-fous robustes, la loi favorise une dynamique non maîtrisée. Avec le temps, son champ d’application a été, selon les pays, élargi aux mineurs, aux « fatigués de la vie » ou aux malades mentaux. Il a même été fait droit à la demande de suicide assisté d’un détenu condamné à une lourde peine, en Suisse.
Injonction contradictoire
En Belgique, la zone grise des polypathologies représente déjà 17,5 % des euthanasies et progresse régulièrement. Elle confère une large marge d’appréciation au médecin. L’instance de contrôle de ce pays reconnaît que le critère légal de la « souffrance insupportable » est largement subjectif. L’interprétation de l’échéance prévisible du décès est tout aussi incertaine. Ces dérives expliquent la multiplication par 2,8 et 2,4 en douze ans des euthanasies en Belgique et aux Pays-Bas et par 10 en six ans au Canada. Devant l’emballement des euthanasies au Québec, la Commission sur les soins de fin de vie vient de rappeler que « l’âge avancé et les problèmes liés au vieillissement ne constituent pas une maladie grave et incurable et ne justifient pas l’aide médicale à mourir ».
Enfin, le médecin ne remplirait plus son rôle d’accompagnement du patient en fin de vie. Il deviendrait un simple prestataire, auquel la société confierait un acte qu’elle tiendrait pour anodin et sans conséquence pour celui qui l’effectue. Or on ne peut nier sa violence et sa symbolique, qui va à l’encontre du serment d’Hippocrate, consacré dans le code de la santé publique. Le Comité consultatif national d’éthique ne soulignait-il pas, en 2013, dans son avis 121 : « Il faut désamorcer l’illusion qui voudrait que l’euthanasie soit simple pour le médecin à qui il est demandé de prêter son concours. » Parce que cette injonction serait contradictoire avec leur vocation, parce que le geste létal n’est ni un traitement ni un soin, mais dénature leur métier, 13 organisations professionnelles de soignants ont récusé toute évolution de la législation.
Notre société souffre de multiples fragilités individuelles et peine à élaborer un projet collectif. Or, légaliser l’euthanasie et le suicide assisté, n’est-ce pas renoncer un peu plus à la construction de ce projet collectif ? Faut-il réduire notre sollicitude envers les personnes qui demandent à mourir à l’administration d’une dose létale et, ce faisant, tourner le dos à la solidarité qui est au cœur de notre contrat social ? Faut-il regarder la mort provoquée comme la réponse au « mal mourir » dans notre pays et le remède à la souffrance des plus vulnérables ? Peut-on croire que, dans l’immense majorité des cas, elle sera l’exercice d’un droit nouveau et non l’expression d’un désespoir personnel et d’une impuissance collective ? On ne peut légiférer sans poser ces questions essentielles. Au fond, quelle est notre vision de la personne humaine et quelle société voulons-nous bâtir ensemble ? C’est de cela qu’il faut débattre.
Jean-Marc Sauvé a été président de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église. Il était vice-président du Conseil d’État quand il a présidé aux auditions concernant la décision médicale d’arrêt des traitements de Vincent Lambert.
Quel hypocrite ce « haut fonctionnaire ». Il ferait certainement appel à l’une de ses connaissances pour mettre fin à ses souffrances horribles. Comme d’autres l’ont fait.
Quelle honte ! Depuis 30 ans nos gouvernants, et les premiers de cordée qu’ils servent, ont mis en place tous les processus destinés, dans la vie comme au travail, à casser les solidarités et à ériger l’individualisme comme mode de fonctionnement idéal. Leur « diviser pour mieux régner » a magnifiquement fonctionné.
Et aujourd’hui, un bonhomme issu de cette engeance vient nous dire que choisir sa mort met en danger la solidarité. Alors que nous savons tous que ceux qui en ont les moyens iront se faire administrer dans des pays plus avancés, ce que ce monsieur demande c’est que les petits, les sans grade, les sans dents, ceux qui ne sont rien, les factieux fassent société souffrant jusqu’au bout.
Son analyse donne juste envie de vomir.