Texte paru dans le Monde le 12/05/2025 : Lire sur le site du Monde
Si la France ouvre le droit à l’aide à mourir, tous les professionnels ne seront pas en mesure d’y contribuer, notamment par conviction personnelle. Les médecins François Guillemot et Denis Labayle soulignent, dans une tribune au « Monde », le rôle majeur des praticiens retraités, ce que l’actuelle proposition de loi omet.
Quel rôle pour les médecins dans la future loi sur l’aide active à mourir ?
La France s’apprête à franchir une étape historique avec l’examen en cours d’un projet de loi sur la fin de vie qui prévoit, en plus du développement des soins palliatifs, l’ouverture du droit à l’aide active à mourir.
Ce projet de loi s’inscrit dans une dynamique d’évolution des mentalités de la société française : selon les nombreuses enquêtes réalisées depuis vingt ans, plus de 80 % des Français se déclarent favorables à une loi permettant à chacun de choisir sa fin de vie dans certaines conditions clairement définies.
Il reste au parlement de débattre entre les deux formes d’aide active à mourir : le suicide assisté où le geste létal est assuré par le malade lui-même, et l’aide médicale à mourir qui fait intervenir directement le médecin. Il pourra soit voter pour l’une ou l’autre, soit offrir au malade la possibilité de choisir entre les deux possibilités. Rien n’est encore décidé.
Même si l’on s’en tient au projet gouvernemental qui axe l’aide active à mourir sur le suicide assisté, le rôle du médecin restera important à plusieurs étapes : c’est lui qui précisera si la personne est pleinement consciente de sa décision, qui fera la prescription médicale et qui sera présent le jour choisi pour assurer la sécurité de l’acte, en lien avec les soignantes et les soignants. De plus sa participation médicale directe sera nécessaire lorsque le malade n’est plus en capacité physique d’intervenir lui-même.
Si pour certains médecins, cette participation est incompatible avec leurs convictions, pour d’autres, répondre à la demande des malades atteints d’affections graves et incurables, et qui désirent choisir leur fin de vie, s’intègre parfaitement dans leur éthique.
Il est difficile d’évaluer la proportion des uns et des autres tant que persisteront sur la tête des médecins deux menaces juridiques : la sanction pénale avec procès aux assises et le risque d’être exclu par le Conseil de l’Ordre. Or, les mentalités évoluent. Le 2 avril 2025, au cours d’une réunion de la commission parlementaire, le Docteur François Arnault, Président du Conseil national de l’Ordre des médecins a rapporté les résultats d’une enquête inédite menée auprès des 3.500 conseillers ordinaux concernant leur rôle face à la fin de vie des malades. Si l’on estime que les conseillers ordinaux représentent une catégorie bien spécifique puisqu’elle rassemble les médecins élus auprès des Conseils Départementaux et Nationaux, leurs réponses traduisent une évolution significative des positions au sein même de cette institution, habituellement opposée à toute aide active à mourir assurée par les médecins. Dans cette enquête sélective, un médecin sur trois se dit désormais disposé à accompagner un patient dans le cadre d’une aide active à mourir. Et le président de l’Ordre de noter qu’«il y a dix ans, une telle disposition apparaissait marginale avec un refus largement majoritaire. Ces résultats illustrent une inflexion réelle des institutions médicales. » Par la voix de son président, le Conseil de l’Ordre des médecins indique clairement ne pas ignorer les évolutions sociétales et souhaite s’impliquer dans de nouvelles formes d’accompagnement, en protégeant les médecins qui réaliseraient les aides actives à mourir.
La participation des médecins qui, fidèles à leur éthique, sont disposés à intervenir dans l’aide active à mourir, soulève de nombreuses interrogations pratiques. Les médecins traitants, pivot essentiel de cette démarche, sont déjà fortement sollicités, avec des plannings surchargés impliquant un manque de temps pour assurer un suivi approfondi, et souvent prolongé en raison de l’ambivalence fréquente de la demande. De plus, on le sait, tous les médecins n’y participeront pas : certains d’entre eux, pour des raisons qui leur sont propres et qui doivent être respectées, utiliseront leur clause de conscience comme cela est prévu dans la loi.
Face à ces contraintes, la participation de médecins retraités volontaires, disposant de plus de temps pour s’investir dans cet accompagnement solidaire, est une piste essentielle.
Leur expérience, leur disponibilité, et leur engagement en font des acteurs potentiels clés du futur dispositif. Ces médecins retraités, seuls ou regroupés, pourraient intervenir à la demande des médecins traitants pour assurer le suivi des malades demandeurs et, si besoin, réaliser le geste. Cet engagement peut se faire avec une formation facilement réalisable et peu onéreuse à l’image de celle de Formation End Of Life en Belgique qui propose des cycles à destination des médecins et des soignants engagés dans les procédures de fin de vie.
Le texte du projet de loi qui va être soumis au parlement doit être modifié sur ce point. En effet, il évoque seulement l’appel aux « médecins en activité ». Il serait important que cet appel concerne l’ensemble des « médecins inscrits au Conseil de l’Ordre » ce qui inclurait les médecins retraités volontaires dont le rôle s’est révélé essentiel dans les nombreux pays qui ont déjà légiféré. Ce simple amendement permettra d’assurer une saine application de la loi dans un esprit de respect et de solidarité, à la fois pour la personne en démarche mais également pour son médecin traitant.
Docteur François Guillemot (Collectif Accompagner Mon Choix de fin de vie)
Docteur Denis Labayle (Président d’honneur de l’association Le Choix – Citoyens pour une mort choisie)