La proposition de loi « relative au droit à l’aide à mourir » a été adoptée le 27 mai par l’Assemblée nationale, en première lecture, par 305 voix contre 199. Les peurs qu’avait cherché à susciter une pétition de « 575 juristes », publiée dans Le Figaro du 14 mai, n’ont pas empêché un débat de qualité. Mais ces peurs pourraient à nouveau émerger au Sénat lorsque les propositions de loi relatives à la fin de vie y seront examinées à l’automne.
30 mai 2025 – Le club des juristes
Par Martine Lombard, Professeure émérite de droit public de l’Université Paris Panthéon-Assas
La loi sur l’aide à mourir « fera-t-elle de la mort une thérapie parmi d’autres » ?
Le risque majeur dénoncé à répétition serait que l’aide à mourir soit un substitut à l’impossibilité d’accéder à des soins palliatifs. Parallèlement à la PPL relative aux soins palliatifs et d’accompagnement, l’article 5 de la PPL relative à l’aide à mourir conduit à dissiper ces craintes : le médecin saisi d’une demande d’aide à mourir devra informer le malade de ce que peuvent lui apporter les soins palliatifs et surtout s’assurer qu’il « y ait accès d’une manière effective ». Ce ne sera donc jamais faute de soins palliatifs mais seulement si le malade considère qu’ils ne peuvent apaiser ses « souffrances réfractaires ou insupportables » qu’il pourra demander une aide à mourir.
Les conditions d’accès à l’aide à mourir seraient aussi, selon ces juristes, telles que « les dérives sont immédiatement perceptibles ». Leur tribune omet de citer les cinq conditions cumulatives que le malade devra remplir. Elle mentionne seulement, pour déplorer sa supposée permissivité, la condition d’«affection grave et incurable, qui engage le pronostic vital, en phase terminale ou avancée». Or, en réalité cette condition-là rend justement la future loi plus restrictive que toute autre législation européenne ayant dépénalisé l’aide à mourir.
Comme l’a souligné l’avis de la Haute autorité de santé (HAS) rendu public début mai, aucun pays européen n’a retenu un critère temporel comme celui qui visait initialement un « pronostic vital engagé à court ou moyen terme ». Aucun législateur en Europe n’a non plus prévu une condition aussi stricte que la « phase avancée » définie par la HAS comme « l’entrée dans un processus irréversible marqué par l’aggravation de l’état de santé qui affecte la qualité de vie », alors que ces termes ont été ajoutés à l’article 4 de la PPL, sur un amendement du gouvernement adopté par les députés.
La loi sur l’aide à mourir aurait-elle des « effets liberticides à l’encontre des opposants à l’euthanasie » ?
Selon la tribune des « 575 juristes », « le suicide assisté et l’euthanasie deviendraient un « droit» opposable », donc, selon eux, un devoir pesant sur les soignants. Mais c’est seulement de l’accès aux soins palliatifs que les députés ont voulu faire un droit opposable, pas de l’aide à mourir ! La liberté des soignants de ne pas participer eux-mêmes à une aide à mourir est à l’inverse dûment bordée par une « clause de conscience » garantie à l’article 14 de la PPL.
Ces juristes ont aussi soutenu que la loi va mettre fin à la politique de prévention des suicides et empêcherait les soignants et même les proches de « vouloir dissuader un être aimé » d’y recourir. Mais à propos du délit d’entrave figurant à l’article 17 de la PPL, dont les termes sont calqués sur ce qui existe pour l’IVG, il convient de lire la décision du Conseil constitutionnel du 16 mars 2017 : seul le fait d’empêcher d’accéder à l’information est une infraction; la manifestation d’une opinion, celle des soignants comme celle des proches, ne saurait l’être.
Est-il vrai qu’« en pratique il n’y a aucun garde-fou» ?
Les auteurs de la tribune qualifient d’ «ubuesque » l’article 12 de la PPL précisant que « la décision du médecin se prononçant sur la demande d’aide à mourir ne peut être contestée que par la personne ayant formé cette demande ». L’avis rendu le 4 avril 2024 par le Conseil d’État justifiait pourtant la restriction ainsi apportée au droit au recours « eu égard au caractère intime de la demande d’accès à l’aide à mourir ». Il rappelait en outre que tant les proches que les soignants pourront saisir le procureur d’une plainte s’ils estiment que des infractions sont ou pourraient être commises.
Le Conseil d’État n’avait enfin nullement critiqué le fait que le contrôle assuré par la «commission de contrôle et d’évaluation»soit réalisé a posteriori. Le risque d’un contrôle a priori est que, comme en Espagne ou en Australie, le malade soit mort dans les souffrances qu’il souhaitait éviter avant même qu’une réponse positive soit apportée à sa demande. Les recommandations d’amélioration de la rédaction du texte que le Conseil d’État avait formulées ont été prises en compte.
Finalement la peur la plus agitée est celle de la classique pente glissante. La proposition de loi sur l’aide à mourir n’est pas critiquée pour ce qu’elle contient mais pour ce qu’elle…pourrait contenir. Ce parti rhétorique s’accompagne de la tentation du complotisme, qui s’abrite ici derrière l’idée qu’il est suspect que le législateur se refuse à employer le terme d’« euthanasie » : « c’est à pas feutrés que se prépare l’administration de la mort ». Or, tout l’intérêt d’avoir consacré les termes d’« aide à mourir » est de rappeler que ce dispositif est conçu pour répondre à une demande libre et éclairée du malade. Le mot « euthanasie » renvoie à deux notions différentes : l’« euthanasie » belge répond à la demande du malade, mais l’ « euthanasie » nazie a désigné une extermination massive sur des critères liés à l’état de santé. Rien dans le mot « euthanasie » ne précise en effet que c’est le malade, et lui seul, qui peut dire si la mort est « bonne » pour lui. Méfions-nous d’un mot à double sens qui conduit trop de commentateurs à passer sans vergogne d’un registre à l’autre.