Le médecin bruxellois Yves De Locht était l’invité du sénateur de Meurthe-et-Moselle Olivier Jacquin, le temps d’une conférence sur la fin de vie ce jeudi 4 mars. Il revient sur sa motivation personnelle à pratiquer l’euthanasie.
Le médecin Yves de Locht précise que, selon des statistiques de 2019, 43 % des euthanasies se font à domicile, 38 % à l’hôpital et 15 % à l’Ehpad.
L’euthanasie est légale en Belgique. Mais êtes-vous nombreux, en tant que médecins, à la pratiquer ?
Yves De Locht, médecin généraliste : « Il existe une grande disparité en la matière puisque 77 % des euthanasies sont pratiquées en Flandres, 22 % en Wallonie. La loi est la même, mais peut-être que nous n’avons pas tout à fait la même culture. Mon cabinet se trouve à Bruxelles, mais il ne se passe pas un jour sans que je reçoive un appel d’un patient français désespéré. »
Vous avez suivi des formations pour ces soins de fin de vie juste après la loi belge de 2002. Votre réflexion était déjà bien entamée…
« Tous les médecins sont confrontés à des patients agonisants, en grande souffrance. J’ai aussi connu ces situations dans mon cercle familial. La médecine peut apaiser la souffrance physique, mais est assez impuissante pour le volet psychique. Je garde en tête la phrase d’une patiente : « Je ne veux pas vivre et ne rien vivre ». On m’a parfois traité d’assassin, mais je suis convaincu d’avoir rendu leur liberté à ces personnes. C’est si difficile de supporter ces souffrances quand on sait qu’on va, de toute manière, mourir d’ici quelques semaines… »
C’est donc le critère : être certain qu’on va mourir vite ?
« Non, légalement, il doit s’agir d’une ‘affection avérée, incurable’… certains pourraient vivre encore très longtemps. »
Et comment vous positionnez-vous pour des maladies d’ordre psychiatrique, des dépressions par exemple ?
« Pour les dépressions, j’ai toujours refusé car, même si je sais que ce sont des patients en grande souffrance, aucun psychiatre ne certifiera que ce mal est incurable. Il y a des hauts et des bas. Par contre, j’ai euthanasié ce midi un patient français qui souffrait de la maladie d’Alzheimer. »
Comment être certain que le patient ne va pas changer d’avis ?
« La loi ne fixe pas de délai, mais demande au généraliste un certain suivi, plusieurs entretiens. Quand mes patients viennent de loin, je demande des mails, sur une période assez longue. Certains font en effet de plus de 1 000 km. Aujourd’hui, la Hollande refuse les patients étrangers alors ils se tournent vers la Belgique. »
Dans l’absolu, pourquoi ne pas laisser le patient se débrouiller seul ?
« Se jeter d’un balcon, sous un train ? C’est extrêmement violent, et puis on peut se rater. Je sais qu’en France, certaines associations aident à trouver des produits. Mais je ne suis pas non plus favorable à cette solution. Je n’aimerais pas savoir qu’un patient a ce genre de pilule dans la table de nuit et les avale un jour où il n’a pas le moral. Ou qu’un enfant tombe dessus, par exemple. »
Vous n’avez jamais eu de doute ?
« Peut-être ce midi : était-ce vraiment le bon moment ? C’est plus ‘’facile’’ d’euthanasier quelqu’un qui souffre d’un cancer, qui est au bout du bout. J’en sors ému mais serein d’avoir apporté ce dernier soin. Là, ce n’était pas le cas. Et puis, j’étais en présence d’une épouse, de leurs quatre enfants… Même s’ils m’ont tous remercié, c’était émotionnellement très difficile. »
Comment faites-vous pour vous protéger ?
« Beaucoup d’échanges avec mon épouse. Je ne pratique jamais seul, mais avec un autre médecin avec qui je peux aussi parler. Après une euthanasie, je vais dans le Nord, jusqu’à la mer, et je ne reprends mes soins que le lendemain. »
Source :
« Le Républicain Lorrain » – Marie KOENIG – 05.03.21