Son visage est de courage et d’agonie, son corps, d’os et de tristesse. Elle se sent, pourrie de l’intérieur, rumine ses métastases. Elle déglutit comme on vomit, des râles sonores qui rappellent sa voix de rogomme. Elle doit racler le fond de sa gorge pour dégager ses poumons noir charbon. Elle veut changer de position mais refuse par le regard qu’on la bouge avec le soupçon d’autorité qui lui reste.
Elle ne mange plus, fait cligner ses yeux saumâtres pour nous parler. En rares instants de bon sommeil, elle rêve à sa vie de gériatre, à tous ses petits vieux, à son propre papa, qu’elle a accompagnés dans leur dernier voyage, en espérant qu’Hippocrate la comprendrait.
Maman a 67 ans et vingt-cinq ans de cancers. Il n’y a plus rien devant elle, sinon l’intime espoir d’un nouveau départ vers l’inconnu. Notre mère avait exprimé clairement et en toute clairvoyance ses directives anticipées : «Laissez-moi partir librement, en soulageant mes souffrances, lorsque je vous le demanderai.» Maman pensait pouvoir compter sur les progrès de la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016 qui refuse l’obstination déraisonnable, reconnaît la nécessité du meilleur apaisement possible de la souffrance et accorde le droit à «une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès».
Malgré ses prières, maman n’a pas eu la liberté de partir dans la sérénité.
La loi a préféré la retenir quelques jours de trop dans son mouroir de lit.
La nature et la société se sont arrogé le droit de choisir pour elle. Au pays des droits de l’homme, la fin de vie de Michèle ne lui a pas appartenu.
Le corps de maman a été placé entre les mains du corps médical qui n’en demandait pas tant. Que nos concitoyens le sachent : en l’état actuel du droit, ils risquent de partir ou de voir partir leurs proches dans le martyre en raison des flous entourant la procédure d’administration d’une sédation profonde, a fortiori lorsque celle-ci se déroule dans le cadre d’une hospitalisation à domicile (HAD).
Le temps de l’échange d’informations et d’expertises entre les médecins traitants, les infirmières et les services de l’hospitalisation à domicile se révèle éternel pour des malades qui ont besoin d’être diligemment soulagés. De surcroît, le flou législatif accroît les risques d’incompétence du corps médical ou, pis encore, de parti pris idéologique de certains personnels soignants. Tel fut le cas de maman dont le cancer des poumons fut incroyablement confondu avec le Covid-19.
Elle fut ainsi mise à l’isolement sans ménagement par un médecin qui ne prit guère connaissance de son dossier médical et qui refusa sa demande de sédation profonde. Tel fut également le cas lorsqu’elle revînt chez elle et qu’elle fut placée à la merci des décisions du service d’HAD.
Ce service – dont le médecin coordinateur ne s’est jamais déplacé audit domicile – fit montre d’une certaine réticence à autoriser les doses d’analgésiques indispensables au prétexte que cette pratique pouvait être assimilée à de l’euthanasie.
En définitive, quand il revient à une multitude d’acteurs de prendre une décision, c’est la déresponsabilisation assurée.
Réduits à l’impuissance et à la désolation, nous, son mari et ses enfants, avons eu le sentiment d’avoir été abandonnés et torturés, d’avoir laissé piétiner les dernières volontés de notre mère bien aimée. Maintes fois, par amour, nous avons eu l’envie de la libérer nous-même de son supplice avant de nous raviser.
Morphine, Valium, Hypnovel, Midazolam, kétamine, oxycodone, scopolamine, Keppra : à mesure que les jours défilaient, lentement, nous sommes devenus des ersatz de médecin, obsédés par l’idée qu’il fallait lui administrer, vaille que vaille, les doses évitant d’inutiles journées de douleur. Maintenant qu’elle s’en est allée, nous sommes condamnés à vivre à jamais avec ce cortège d’images cruelles et têtues.
S’il est normal d’escorter ceux qu’on aime le long du chemin des derniers instants, il est insensé de faire peser sur quelque enfant ou quelque conjoint la culpabilité d’un indigne et laid départ.
C’est qu’à la vérité, une partie d’entre nous ne veut pas regarder la mort en face. La fin de vie demeure notre grand tabou car elle terrifie.
Curieusement, nous avons soif de liberté, nous réclamons l’autonomie individuelle partout sauf pour la fin de vie. Quelle idéologie, quel corps constitué, quel expert peut décider que je dois demeurer ici-bas si je suis atteint d’un mal incurable et insupportable ? Que ceux qui veulent rester puissent le faire, que ceux qui veulent partir soient respectés.
» La seule idéologie acceptable n’est-elle pas celle du seul mourant ? «
Nous sommes conscients que le droit de la fin de vie, comme la vie elle-même, ne sera jamais parfait. Mais, à l’heure où l’Espagne vient d’adopter
Le 17 décembre une loi historique sur l’euthanasie, nous espérons que la France saura entrer dans l’âge adulte de la médecine en inventant une nouvelle législation permettant de sortir de l’hypocrisie profonde qu’est la sédation profonde. La proposition de loi déposée par la sénatrice Marie-Pierre de La Gontrie en novembre, visant à établir le droit à mourir dans la dignité, permet de prendre date. Légalisons l’euthanasie et le suicide assisté pour les maladies dégénératives, incurables et provoquant d’ignobles souffrances. Invitons chaque jeune français ayant atteint l’âge de majorité à déposer ses directives anticipées sous forme de testament médical sur un registre national sécurisé.
Soulageons le corps médical en le laissant à sa juste place : celle de constater l’irréversibilité de l’état de santé du patient, à adoucir ses souffrances et à exécuter cliniquement son testament médical. Reconnaissons aux professionnels de santé qui le souhaitent le droit légitime d’être objecteurs de conscience.
Délivrons les familles de la charge de décider.
A son époque, maman connut la loi Veil. En sa mémoire de médecin, comme en celles de tous les disparus suppliciés, nos enfants méritent de connaître une grande loi sur le droit de mourir dignement et souverainement.
Témoignage de ses proches qui réclament une loi sur le droit de mourir dignement et souverainement.
Tribune parue dans Libération le 06 janvier 2021
Je vis la même chose avec mon père 95 ans en IRC terminale qui est entré aux urgences et qui est depuis en médecine interne avec maintenant en plus infection urinaire, sondé à demeure, septicémie à Staph, oxygène car saturation en baisse, des douleurs qui le font geindre sans que la morphine ne le soulage. Il n’avait presque plus de conscience quand cette charmante médecin des soins palliatifs est venue lui demander de sa voix doucereuse « alors MrX que pensez vous de votre hospitalisation? » Pas de réponse « comment envisagez vous la suite? » Pas de réponse. « Bon on se revoit lundi » nous étions jeudi, maintenant il n’est même plus transportable tant il souffre dès qu’on le bouge un peu. C’est révoltant, inhumain cet acharnement, c’est de la maltraitance