Cette chronique initialement parue le 10.02.22 vient de reparaître dans La Croix du 23.08.22 …
Chronique
Sur l’euthanasie ou le suicide assisté les catholiques, minoritaires, doivent-ils accepter des concessions ? Non, mais au-delà des grands principes, ils doivent s’interroger sur ce que l’on entend par « vie digne ».
Faut-il renoncer à exprimer ses convictions chrétiennes dans le débat autour de la fin de vie ? Car il y a de quoi être découragé. Que ce soit l’euthanasie, le suicide assisté, le droit à mourir dans la dignité, la demande de la société est telle que les grandes balises chrétiennes autour de l’interdiction de donner la mort et la nécessité de protéger la vie, même la vie des plus vulnérables, semble peser bien peu, balayées par un vent inéluctable où le désir de l’individu de maîtriser sa vie est plus que jamais mis en avant.
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Très minoritaires sur ces questions, les catholiques s’interrogent sur le degré de concessions qu’ils doivent accepter pour continuer à participer aux débats politiques. En Italie, l’Église semble même étrangement prête à soutenir un projet de loi sur le suicide assisté, très encadré, seule possibilité pour elle d’éviter une législation autorisant l’euthanasie. Le suicide assisté, qui dépend de la personne et non de l’entourage, semblerait plus « éthique », plus acceptable. Peut-être… Mais dans les deux cas, on consent à une rupture anthropologique majeure, celle de donner ou permettre (suicide assisté) la mort. On peut donc à bon droit s’interroger sur la pertinence de cette stratégie de l’accommodement, où les aménagements prévus au début deviennent rapidement des concessions, qui finalement préparent la voie à tout ce que l’on souhaitait au départ éviter.
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Doit-on dès lors renoncer à proclamer nos convictions ? Non. En revanche, peut-être faudrait-il s’interroger sur ce que l’on a à proclamer. L’Église ne peut se contenter de répéter comme au catéchisme le principe absolu de la protection de la vie. Cela ne tient pas face au désir légitime de nos contemporains de mieux maîtriser leur propre destinée. Face aussi à l’évolution de la médecine, qui repousse les frontières de la mort à l’extrême, sans donner le mode d’emploi éthique avec.
Il y a à dire pour les chrétiens !
La question est de définir ce que l’on entend par « la vie ». Une « vie humaine », une « vie digne ». Une « vie qui donne envie de vivre ». Dès lors, oui, il y a à dire pour les chrétiens ! L’Église peut s’inquiéter du glissement progressif vers une forme de légalisation de l’euthanasie. Mais l’a-t-on entendu sur les conditions de vie de milliers de personnes très âgées concentrées dans des Ehpad-mouroirs sans autre perspective que la solitude, dans une forme d’euthanasie spirituelle ? N’est-ce pas là, aussi, pourtant, que la fin de vie digne se joue ? Les catholiques se sont-ils révoltés quand, au début du Covid, on a interdit les droits de visite dans les maisons de retraite ? Ou encore, s’indignent-ils de la manière dont on meurt dans l’anonymat le plus total, dans une société qui cache la mort faute de savoir l’accompagner ?
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Sur la fin de vie, l’euthanasie ou le suicide assisté, il n’y aura en quelque sorte que de mauvaises solutions, pour prendre en compte des cas extrêmes et assez rares, sur lesquels on se situe dans une « zone grise » où le discernement est complexe. Nos députés semblent vouloir s’épuiser, tous les deux ans, à revoir ces solutions. Devons-nous les suivre, au risque de nous épuiser aussi ? Et aller toujours plus loin dans les concessions ? Notre rôle est peut-être de déplacer le débat là où il se pose vraiment, c’est-à-dire sur la dignité de la fin de vie telle qu’elle est réellement vécue par la majorité de nos concitoyens… Dans vingt ans, la France comptera plus de 700 000 décès par an, dont les trois quarts seront le fait de personnes âgées de plus de 75 ans. Avec le désir simplement de bien vieillir, puis de « bien mourir », entourés, avec la possibilité de laisser une trace. Bref, une mort digne d’une vie digne. L’urgence est là. Les chrétiens n’ont pas à se taire. Ils devraient peut-être parfois même crier.
Source :
« La Croix » – Isabelle de Gaulmyn – 10.02.22
Republié 23.08.22