Le taux de refus au prélèvement d’organes et de tissus stagne en France aux alentours de 30 % alors que 27 802 patients sont aujourd’hui en attente de greffe.
En 2021, 5 276 greffes ont été réalisées en France selon le rapport de l’Agence de biomédecine, un chiffre très en deçà des besoins réels : 27 802 personnes sont aujourd’hui en attente d’un organe ou de tissus. Tout le monde peut faire don d’un rein ou d’une partie de son foie de son vivant, mais 90 % des prélèvements se font sur des personnes en état de mort encéphalique (1 % des décès en France). Le cerveau ne fonctionne plus mais le cœur et le corps sont maintenus artificiellement pour permettre le prélèvement. Au bout de 24 heures, les organes commencent à se dégrader. La décision donc être prise très rapidement.
Depuis 1976, nous sommes tous donneurs par défaut. En 2017, un nouveau décret est venu préciser les modalités de refus de cette loi. Il existe désormais trois façons de s’opposer au don d’organes : en parler ouvertement à ses proches, faire valoir son refus de prélèvement par écrit ou s’inscrire sur le registre national des refus (RNR), créé en 1998 et disponible en ligne depuis 2016, qui compte plus de 483 459 inscrits. Si une personne en état de mort encéphalique n’est pas inscrite sur ce registre, l’équipe médicale s’efforce de recueillir le témoignage des proches avant tout prélèvement. Dans tous les cas, ils ne peuvent s’opposer au don à la place du défunt mais seulement témoigner de son refus.
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D’où l’importance de s’informer et d’en parler autour de soi. Car si 85 % des Français sont favorables au don d’organes et de tissus, le taux d’opposition stagne aux alentours des 30 %, « un taux qui varie énormément selon l’actualité », précise David Heard, directeur de la communication de l’Agence de biomédecine. À titre de comparaison, le taux d’opposition est de moins de 20 % en Espagne. La raison principale, selon l’Agence de biomédecine, est l’ignorance des proches quant à la position du défunt sur le don d’organes. « On a des personnes qui sont favorables au don d’organes, mais qui ne sont pas prélevées, parce qu’elles ne se sont pas exprimées de leur vivant », regrette David Heard.
Une raison confirmée par Karine, infirmière coordinatrice pour le prélèvement d’organes et de tissus depuis treize ans : « Comme les proches ne savent pas, ils ont peur de faire une erreur. On arrive à amener certaines familles à une réflexion. Pour d’autres, c’est un non d’emblée, sans réflexion sur la volonté du défunt, car l’histoire est trop douloureuse, la mort vécue trop brutalement… »
Idées reçues et contexte social
C’est ce choix que Gwenaëlle, 49 ans, issue d’une famille de médecins a voulu éviter à ses proches. Au moment où est annoncée la loi de 2017, Gwenaëlle apprend qu’elle va subir une lourde opération, une nouvelle qui la pousse à s’inscrire sur le RNR où elle précise son refus de donner certains organes pour des raisons « purement psychologiques et symboliques ». « C’est paradoxal. Je sais qu’on est mort, mais pour moi le cœur représente l’être humain, c’est un organe central, tout fonctionne grâce à lui. Concernant les yeux, il s’agit davantage d’une phobie. Quant aux artères et aux veines, j’ai peur de rentrer dans une sorte de “charcutage”. J’ai besoin de garder une apparence humaine et je ne connais pas vraiment le processus par lequel les organes sont prélevés. »
Une idée reçue du corps que Karine entend souvent. « En réalité, c’est une opération comme une autre, en présence de chirurgiens en salle d’opération. Les organes prélevés doivent être greffés, donc tout est fait dans le plus grand respect du corps humain. » Persistent également les préjugés selon lesquels certaines maladies ou l’âge avancé du défunt empêcheraient le prélèvement. Le rapport à la mort joue également un rôle prépondérant. « Dans mon entourage, beaucoup de gens sont contre, mais ne s’inscrivent pas et n’en parlent pas, car ils ont du mal à se projeter. La mort, c’est un sujet tabou. On n’a pas tous le même prisme, le même rapport à la mort et à la science », raconte Gwenaëlle.
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Enfin, certaines caractéristiques socio-économiques accentueraient encore davantage ce taux de refus et expliqueraient les disparités selon les régions. En Île-de-France, en Picardie ou dans les DOM-TOM, le taux d’opposition dépasserait les 50 %. « Les plus défavorisés sont souvent les plus éloignés du système de santé. Ce sont également ceux chez qui on retrouve la plus grande méconnaissance de la loi, ainsi que des croyances sur le fait que l’équité de répartition des greffons n’est pas bien respectée », explique David Heard.
Faire baisser le taux d’opposition de quelques points peut paraître insignifiant, mais l’impact est bien réel. « Quelques dizaines de prélèvements, c’est beaucoup de patients qui peuvent être traités derrière, étant donné que l’on peut prélever jusqu’à sept organes par personne », explique David Heard.
Source :
« Le Point » – Clémence de Ligny – 9 et 11.11.22