**Cette Lettre ouverte aux médecins belges fait écho à la Lettre ouverte des médecins belges adressée au membres du Comité Consultatif National d’Ethique écrite en 2013
Nous sommes les parents d’Hervé Pierra, le cas de notre enfant avait été médiatisé en France. Notre fils est resté plongé dans un coma végétatif chronique irréversible pendant 8 ans ½ et est décédé en 6 jours cauchemardesques après l’application de la loi Léonetti, sans aucune sédation.
Nous comprenons votre révolte et votre courroux. Mon mari et moi-même, nous nous « battons » depuis une dizaine d’années pour un référendum sur la question de la fin de vie en France, afin que chaque citoyen se détermine en connaissance de cause et en conscience.
Nous assistons régulièrement à des débats et des conférences et attestons que la législation belge en la matière, joue un rôle de « repoussoir ». Nos amis hollandais, bénéficient du même traitement. Le procédé est simple et vieux comme le monde. Un proverbe dit : « quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage ! ». Eh bien, nous y voilà ! Ce péage « bonne conscience », autorise tout, légitime tout et n’importe quoi.
Nous ne sommes pas naïfs et savons que ce type de procédé, qui n’honore pas ses auteurs, est la seule méthode des « sans arguments ». Agiter les peurs et les fantasmes de toutes sortes, abonder dans des provocations outrancières, sont autant d’indignités et d’aveux de faiblesse. Le fait d’égratigner, voire de blesser nos amis belges et hollandais, n’a guère d’importance au regard de ce que certains défendent comme un enjeu primordial : « refuser à tout prix l’euthanasie ou l’exception d’euthanasie ». La limite de la diffamation est atteinte lorsque des soignants colportent des rumeurs d’atrocités commises de l’autre côté de la frontière. Les dégâts des rumeurs sont incommensurables.
Les français qui se déclarent à 86 % pour l’euthanasie, très encadrée, bien sûr, ne sont pas mieux lotis. Il est de coutume de mettre en exergue le « bon sens populaire », mais là, il est allègrement piétiné ! Le mode opératoire employé est très similaire à celui qui vous est appliqué.
Nous qui souhaitons une législation pour une aide active à mourir, nous sommes :
Disqualifiés, étant jugés incapables d’intellectualiser tous les critères de réflexion, en un mot, nous serions tous des imbéciles.
Soupçonnés d’agir sous le coup de l’émotion, de façon très épidermique à la vue d’images chocs ou à la connaissance de faits divers déchirants. Nous serions donc victimes de nos sens et également manipulés par les médias.
Méprisés, en occultant le fait que certains d’entre nous ont vécu des expériences d’agonies douloureuses et longues auprès d’êtres chers.
Culpabilisés en étant taxés d’eugénisme avec pléthore de références au nazisme, aussi honteuses que décalées.
Vilipendés abusivement, pour feindre de suspecter que nos souhaits d’aide active à mourir, représenteraient un frein au développement des soins palliatifs.
Suspectés de pure inconscience au regard des risques potentiels de dérives (ce qui constituerait au passage, un aveu d’échec d’autorité du législateur).
Accusés d’avoir une vue simpliste et binaire du problème, se réduisant à : « pour » ou « contre », alors que notre société savante, elle, réfléchit, doute, tergiverse, pour souvent aboutir à son incapacité de savoir. « L’art du doute à tout prix » ou, comme je l’avais dit à notre député Jean Léonetti, instigateur de la loi qui porte son nom et qui prône le doute comme base de réflexion : « au moins, Monsieur le député, vous ne doutez pas des vertus du doute ! » (pour l’anecdote).
Ballotés entre complexification et propos déstabilisants. Le docteur Régis Aubry, par exemple, qui vante les mérites de la sédation profonde, ou ceux du double effet et qui parallèlement objecte que ces derniers ne devraient pas systématiquement être utilisés. La psychologue de renom Marie de Hennezel, préconise la transgression de la loi plutôt que l’élaboration d’une loi sur la fin de vie. Pour sacrifier à l’illusion d’une non euthanasie, on voit émerger une forme de « maltraitance institutionnalisée ». Celle-ci est dénoncée par Monsieur Philippe Bataille, sociologue, directeur d’études à l’école des hautes études en sciences sociales, auteur du livre « à la vie à la mort ». Il relate le cas édifiant, entre autres, d’un prématuré non viable auquel on a appliqué la loi Léonetti (le laisser mourir de faim et de soif) alors qu’avant, il aurait aidé à mourir en paix et en toute humanité.
Exposés sans vergogne au mensonge institutionnalisé qui s’énoncerait à peu près comme cela : « vous, qui êtes favorables à une législation sur l’euthanasie, tenez ce discours car vous ne connaissez pas la loi Léonetti qui condamne l’acharnement thérapeutique et permet d’accéder dans l’apaisement au décès par sédation en quelques jours jusqu‘au terme naturel de la vie ».
Voici les étapes constitutives de ce mensonge et déferlement d’idées reçues :
1- L’obstination déraisonnable ou l’acharnement thérapeutique sont des notions abstraites donc interprétables et à géométrie variable.
2- On ne meurt pas en 48 heures sans être hydraté et alimenté, à qui peut-on servir cela ? Chacun a en mémoire des images de victimes sorties vivantes des décombres lors de terribles tremblements de terre après 10 ou 12 jours sans aliments et sans eau. Les témoignages que nous recevons font état de trois a quatre semaines d’agonie.
3- Les victimes collatérales des progrès de la réanimation sont condamnées à perpétuité. Il est normal et légitime de réanimer quelqu’un d’inconscient en arrêt cardio respiratoire mais après, lorsque les IRM attestent de lésions cérébrales très graves et irréversibles comme dans les anoxies du cerveau, que faire ? Il n’y a pas de machines à débrancher de tuyaux à enlever. Seul le corps survit parfois à minima comme ce fût le cas pour mon enfant dans le coma pendant plus de 8 ans, inconscient, totalement paralysé, trachéotomisé et nourri par sonde gastrique. Il s’étouffait en permanence dans ses propres glaires, car déglutissant à minima, il faisait des fausses routes régulièrement.
4- Les personnes qui prônent une mort naturelle pour ponctuer ces vies artificielles devraient nous faire part de leur méthode. Ladite mort naturelle, lorsqu’elle frappe à notre porte, sous la forme d’un cancer ou autre, nous n’en voulons pas, nous ne la laissons pas faire son œuvre naturelle, nous courons vite chez le cancérologue le plus réputé pour contrecarrer « Dame nature » et défier la mort naturelle. Le principe fondateur de notre société : « Tu ne tueras point ! », est abusivement et éhontément argué pour fermer la porte à tout débat. La compassion n’est pas « un homicide volontaire » ! C’est l’institution (c’est-à-dire l’homme) qui, en décidant que la mort n’est pas autorisée, se substitue à Dieu et condamne à des doubles peines : celle de ne plus pouvoir vivre et celle de ne pas avoir le droit de mourir. 5- L’évocation constante de la protection des plus fragiles et des plus vulnérables est bien compréhensible mais si une aide active était instaurée, autorisée, elle ne serait pas pour autant préconisée. L’avortement est légal en France, ce n’est pas pour autant que les femmes enceintes se voient proposer cette stupéfiante indication.
6- La frontière si ténue entre le licite (loi Léonetti) et l’illicite (l’euthanasie) engendre des drames qui défraient régulièrement la chronique.
Les principaux concernés, les malades qui sont en phase terminale de maladies incurables, submergés de douleurs réfractaires, ne reçoivent aucun écho à leur demande d’aide active à mourir. La société savante objecte que :
Leur demande de mort ne serait en fait que l’expression d’une profonde solitude. Ainsi disqualifiés d’office, on nie leurs souffrances insupportables.
Notre société consumériste et égoïste serait responsable de ces solitudes, incapable d’empathie et de solidarité. Les français seraient donc des êtres indignes qui rejetteraient les plus vulnérables.
La demande d’aide active à mourir est présentée comme la résultante d’une altération du jugement par la souffrance.
On cherche à culpabiliser ces patients de ne pas avoir le courage d’affronter la mort.
Un autre argument s’impose comme une cynique ironie : il s’agit de la nécessité de subir le temps de l’agonie. Un vocabulaire a vu le jour, décrivant le temps de l’agonie comme celui du détachement psychologique.
**L’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD), qui compte plus de 50000 adhérents, dont nous faisons partie, s’emploie à défendre notre « ultime liberté ». C’est un dur « combat » que nous menons, accusés très bizarrement de prôner une « culture mortifère », nous devons subir toutes sortes de quolibets, plus injustes les uns que les autres. C’est justement notre amour de la vie qui nous guide et nous pousse à réclamer un départ en douceur, dans la paix de l’âme, accompagnés des nôtres. Non ! Nous ne sommes pas honteux d’avoir peur de la mort et encore moins d’avoir peur de souffrir !
Messieurs, vos capacités d’analyse, la pertinence de vos mises au point et de vos conclusions, exposées dans des termes respectueux et pondérés, nous touchent beaucoup. Vous représentez pour nous l’image digne et noble du « vrai » médecin, celui qui sait, qui soigne les plaies du corps et de l’âme et qui sait se mettre avec humanité au niveau de l’autre pour l’entendre et l’accompagner, dans un amour solidaire, vers la porte de la mort.
** Ndlr : Cette lettre a été écrite avant la création du Choix. M. et Mme Pierra soutiennent notre association et étaient présents à la réunion tenue à Nantes le 12 novembre 2021
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LETTRE OUVERTE AU PRESIDENT ET AUX MEMBRES DU COMITÉ CONSULTATIF NATIONAL D’ÉTHIQUE
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Responsables de la formation des médecins qui, de par la loi du 28 mai 2002 relative à l’euthanasie, sont obligatoirement consultés lorsqu’une euthanasie est envisagée en Belgique ou membres de la commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie, nous avons pris connaissance de l’avis n° 121 du CCNE rendu public le 30 juin dernier. Nous regrettons de constater que cet avis donne une image inexacte et tendancieuse de la pratique de l’euthanasie en Belgique. Nous en avons une large expérience par nos contacts réguliers avec les quelque 700 médecins consultants que nous avons formés et qui participent aux décisions d’euthanasies dans notre pays et par nos fonctions hospitalières dans de grands hôpitaux universitaires où l’euthanasie est pratiquée. À travers les déclarations légales, ceux des soussignés qui sont membres de la commission fédérale de contrôle ont une vision globale de l’ensemble des euthanasies pratiquées. Nous tenons à rectifier certaines affirmations contenues dans l’avis du CCNE et défendre tant notre législation relative à l’euthanasie que l’honneur des médecins qui l’appliquent.
Contrairement aux affirmations de l’avis du CCNE, toute personne en situation de fin de vie qui le souhaite peut dans notre pays bénéficier de soins palliatifs, tant à domicile qu’en institution. Notre pays a été pionnier en ce domaine. Des dispositions légales ont été prises qui assurent tant la couverture financière de ces soins qu’un soutien familial (congé légal pour un proche). Il faut souligner que de très nombreuses euthanasies concernent des patients
qui avaient bénéficié de soins palliatifs pendant plusieurs semaines ou mois. Une étude publiée à ce sujet met d’ailleurs en évidence que les demandes d’euthanasies émanent aussi fréquemment de patients traités dans des unités de soins palliatifs que de patients qui ne le sont pas.
Contrairement aux affirmations de l’avis du CCNE, la loi concerne les patients atteints d’affection incurable et en grande souffrance qu’ils soient « en phase terminale » ou non. Les patients « incapables » de même que « les personnes atteintes de maladies neuro-dégénératives dans une phase assez précoce » cités dans cet avis étaient bien dans les conditions légales pour obtenir l’euthanasie.
Contrairement aux affirmations de l’avis du CCNE, dans tous les cas où le décès n’est pas prévisible à brève échéance, trois médecins dont un au moins est soit spécialiste de l’affection en cause soit psychiatre ont effectivement confirmé la présence des critères légaux.
Contrairement aux affirmations de l’avis du CCNE, il est inexact que la consultation d’un autre médecin pour la démence ou la dépression n’est pas considéré comme essentiel par la Commission de contrôle.
Contrairement aux affirmations de l’avis du CCNE, les médecins belges sont attentifs à rédiger correctement le document obligatoire adressé à la Commission de contrôle. Il ne faut pas oublier la contrainte que constitue l’obligation d’une prescription rédigée au nom du patient pour obtenir les produits létaux auprès d’un pharmacien, et qui signale qu’ils sont destinés à une euthanasie légale.
Contrairement aux affirmations de l’avis du CCNE, le contrôle n’est nullement superficiel. Il ne faut pas oublier que le document rédigé a posteriori complète les rapports des médecins indépendants consultés a priori et qui doivent confirmer par un rapport écrit l’existence des conditions légales. Il y a donc non seulement un contrôle a posteriori mais une concertation a priori qui implique deux et parfois trois médecins.
Contrairement aux affirmations de l’avis du CCNE, l’évolution du nombre d’euthanasies pratiquées dans notre pays est parfaitement normale et ne témoigne que d’une appropriation progressive par les citoyens et par les médecins de la possibilité d’échapper aux aléas de la mort « naturelle ». Les rapports examinés par la commission de contrôle témoignent des souffrances endurées et d’une mort vécue par le patient comme une réelle délivrance.
Contrairement aux affirmations de l’avis du CCNE, tous les témoignages des médecins ayant pratiqué l’euthanasie, comme notre expérience personnelle, permettent d’attester d’une mort calme, en sommeil profond, survenant en quelques minutes au moment choisi et souvent précédée d’adieux émouvants aux proches.
Contrairement aux affirmations de l’avis du CCNE, il est faux que des infirmières pratiquent l’euthanasie dans notre pays.
Enfin, promouvoir la sédation profonde en extrême fin de vie comme substitut à l’euthanasie nous paraît injustifiable. La sédation n’assure pas une mort paisible. Elle maintient le patient coupé du monde extérieur, ni vivant ni mort, pendant plusieurs heures ou jours en attendant que survienne le décès. Une telle prolongation de l’agonie peut constituer pour les proches une épreuve extrêmement traumatisante, voire cruelle, d’autant plus que des complications dramatiques de tous ordres peuvent survenir sous leurs yeux (hémorragies, convulsions, etc). De plus, la technique exige pratiquement une surveillance constante généralement en milieu hospitalier. Elle ne permet pas de prévoir le moment de la mort. Elle ne répond donc pas au souhait de plus en plus exprimé d’une mort à domicile, entouré des siens.
Il est paradoxal que le CCNE s’émeuve de la possibilité que la législation en vigueur dans notre pays puisse ne pas être parfaite alors que dans les pays, dont la France, où l’euthanasie est interdite ces pratiques sont recouvertes d’un voile opaque qui cache de multiples situations humainement inacceptables et des actes délictueux clandestins. Quant à la loi Léonetti, vantée dans l’avis du CCNE, elle n’a fait que légaliser une pratique médicale
tout à fait normale, à savoir l’interdiction de l’acharnement thérapeutique. Transformant un devoir du médecin en pouvoir, elle précise que « le médecin (…) peut renoncer à entreprendre ou poursuivre des traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou qui n’ont d’autre objet ou effet que le maintien artificiel de la vie » . Elle marque donc un recul par rapport aux devoirs déontologiques du médecin.
L’euthanasie est vieille comme le monde. Si Hippocrate, dans son serment, avait trouvé nécessaire d’interdire aux médecins de « remettre du poison, si on m’en demande, ni de prendre l’initiative d’une pareille suggestion », c’est bien que les patients le demandaient déjà, et que des médecins pouvaient déjà les comprendre et peut-être les aider. Le grand mérite de la dépénalisation, c’est de sortir de la clandestinité et du mensonge un geste, certes difficile, mais qui grandit celui qui le demande et celui qui le réalise, parce qu’il affirme la liberté de l’homme face au néant.
Deux géants parmi nos compatriotes, l’écrivain Hugo Claus et plus récemment le prix Nobel de médecine Christian de Duve, deux passionnés de la vie, nous l’ont rappelé. Leur décision d’y recourir et leurs déclarations rejoignent l’appel rendu public il y a 40 ans par trois prestigieux prix Nobel dont le Français Jacques Monod qui avaient en 1974 signé un texte en faveur de « l’euthanasie humanitaire » qu’ils définissaient comme « une mort rapide, sans douleur, considérée comme un bienfait par l’intéressé ».
La Belgique se sent fière d’avoir entendu cet appel.
Croyez, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs à nos sentiments très distingués
Dr Wim Distelmans
Professeur Vrije Universiteit Brussel
Chef de service des soins palliatifs
Hop. académique VUB Bruxelles
Coprésident de la Commission fédérale de contrôle
Responsable de la formation des médecins LEIF
Dr Dominique Lossignol
Chargé de cours Université libre de Bruxelles
Chef de la clinique des soins palliatifs
Institut J. Bordet Bruxelles
Coordonnateur de la formation des médecins EOL
Dr Marc Englert
Professeur Université libre de Bruxelles (hon.)
Membre rapporteur de la Commission fédérale de
contrôle
Dr François Damas
Professeur Université de Liège
Chef de service des soins intensifs
Président du comité d’éthique hospitalier
CHR Citadelle Liège
Responsable de la formation des médecins EOL
Dr Peter De Deyn
Professeur Université d’Anvers
Chef du département de neurologie
Hôpital académique Middelheim Anvers
Dr Philippe Deron
Département de chirurgie
Hôpital universitaire de Gand
Médecin LEIF