Anne Vourc’h, septembre 2022
On entend une crainte parfois exprimée par les opposants à une évolution de la loi qui autoriserait l’aide à mourir : nous rentrerions dans une société faisant peu cas de la vie humaine, décidée à éliminer sans attendre des malades destinés de toutes façons à mourir à brève échéance. S’exprime aussi une forme de condamnation morale d’une société qui serait devenue incapable d’assumer la confrontation avec la mort, source d’angoisse existentielle. Avec le spectre de choix qui finiraient par être dictés par des intérêts financiers.
Bref, une dérive inexorable vers ce qui serait une nouvelle forme de barbarie.
Prenons les Pays-Bas. C’est le premier pays européen à avoir ouvert le débat sur la mort assistée dans les années 70. Puis, après une décennie de décisions des tribunaux et des autorités médicales reconnaissant que l’aide médicale à mourir et le suicide médicalement assisté pouvaient être acceptables pour la profession médicale, c’est le premier pays à avoir adopté en 2001 une loi les dépénalisant (dans des conditions bien précises).
Est-ce que cela en fait une société barbare ?
Si on regardait maintenant la manière dont les Pays-Bas abordent la naissance, c’est-à-dire la manière dont tout être humain, destiné un jour à la quitter, entre dans la vie ?
Les Pays-Bas, sont connus avoir particulièrement réfléchi aux conditions de la naissance et qui apporte un soin attentif aux accouchantes et à l’accueil des nouveaux-nés.
La naissance naturelle y est privilégiée, l’accouchement est vécu a priori comme un évènement physiologique. Hors grossesse à risque bien sûr, accoucher chez soi avec une sage-femme ou un médecin que l’on connait bien parce qu’ils vous ont suivi depuis le début de votre grossesse, est considéré non comme une alternative mais comme le mode normal de mettre son enfant au monde, en prenant le temps qu’il faut, dans son univers familier et entourés de qui l’on souhaite. La naissance à la maison est favorisée par un système très organisé autour de la jeune mère : la sage-femme avec l’appui d’une infirmière de maternité passe tous les jours pour les suites de couche. Plus récemment est apparue la doula, ni sage-femme ni infirmière, que l’on peut définir comme une accompagnatrice de la grossesse et de la naissance, qui reste aux côtés de la mère avant, pendant et dans les jours qui suivent l’accouchement. Il est également facilité par la proximité des hôpitaux dans ce pays très dense qui rend possible un transfert rapide si besoin.
La part des naissances à domicile a diminué mais reste élevée (16%), au profit de l’hôpital mais surtout des maisons de naissance ; il s’agit de structures hybrides contigües à un hôpital, gérées par des sages femmes et proposant une naissance moins technicisée et plus proche d’une naissance à domicile. En France, où priorité est donnée à l’hôpital, cette formule n’en est toujours qu’au stade prudent de l’expérimentation…
Ce qui frappe, c’est la gamme des choix offerte aux mères néerlandaises, sans impact sur la sécurité (les indicateurs néonataux sont identiques, ou parfois meilleurs, à ceux de pays très médicalisés).
Ce modèle hollandais est regardé de près par un nombre croissant de Françaises, mais aussi de soignants, qui interrogent le modèle hyper médicalisé de la naissance qui domine dans notre pays. On y accouche à l’hôpital (99% des naissances), avec un recours en hausse au déclanchement et à la césarienne, de même qu’à la péridurale (76% en France, 20% au Pays-Bas) ; cette dernière est bien sûr d’un grand progrès dans le soulagement des douleurs, mais on considère aujourd’hui qu’on y fait d’autant plus appel que l’accouchement est médicalisé.
Voici donc un pays, les Pays-Bas, qui porte une formidable attention au vécu de la femme et de son enfant dans ce moment singulier et fondateur de la naissance. Ce qui ne l’a pas empêché d’être le pays pionnier pour ouvrir le droit à une personne de demander une aide à mourir dans des conditions précises et contrôlées ; et qui permet à un médecin qui connait son malade de l’accompagner jusqu’au bout.
Dans l’un et l’autre cas, une certaine une conception du soin, au plus près de la personne et ouvrant les possibilités de choix.
Un pays juste humain.
Sources :
« Panorama des législations sur l’aide active à mourir dans le monde », Les dossiers du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie », 31 Janvier 2022
« Photographie de la santé périnatale en France et en Europe en 2015 », Inserm, 2018
« L’accouchement à la maison aux Pays-Bas », Lucie Hubert, https://journals.openedition.org/, 2021
« Les Pays-Bas, le pays où les femmes accouchent encore chez elles », Anne-Aël Durand, Le Monde, 22 Août 2016 « Accoucher à domicile ? Comparaison France/Pays-Bas », Santé publique France, 2007 https://www.santepubliquefrance.fr/docs/accoucher-a-domicile-comparaison-france-pays-bas