Fin de vie : « Hippocrate a offert aux soignantes et soignants un chemin humaniste qui nous oblige »
Tribune
Si certains détracteurs de l’aide médicale active à mourir invoquent le serment d’Hippocrate, un collectif de soignants soutient, dans une tribune au « Monde », que le respect de la volonté du patient – y compris sa volonté de mourir – est tout aussi primordial pour rester fidèle à son esprit.
Une loi sur la fin de vie est actuellement en discussion en France. Tout récemment, le président de la République s’est prononcé pour que soit discuté, dans les prochaines semaines, un projet de loi sur la fin de vie incluant la possibilité d’accéder à une aide médicale à mourir. Cette possibilité de choix pourra être ouverte sous conditions aux personnes majeures présentant une maladie incurable engageant le pronostic vital à court ou moyen terme, responsable de douleurs réfractaires, et disposant de leur total discernement.
Certains, pour s’opposer à cette proposition, invoquent le serment d’Hippocrate, qui dit : « Je ne provoquerai jamais la mort délibérément. » Si l’usage courant a donné au terme « délibérément » l’idée d’une action intentionnelle, la racine de ce mot est le verbe « délibérer ». Délibérer, c’est peser tous les éléments d’une question et débattre, collectivement ou avec soi-même, avant de prendre une décision. Or la délibération doit être précisément au centre de la relation de soin. Celle-ci est un échange qui prend place dans un climat de confiance réciproque et dont le pivot essentiel est la liberté de choix de la personne soignée.
Nous, soignantes et soignants, pensons qu’une personne présentant une maladie incurable ou un état grave et incurable avec douleurs physiques ou psychologiques impossibles à soulager doit pouvoir recourir, si c’est là sa demande, à l’aide médicale à mourir comme soin ultime. Ce choix, fait par une personne qui estime que sa vie n’est plus une existence et demande son interruption, est une décision prise en pleine conscience et doit être respecté comme telle.
Après discussion collégiale
Qui sommes-nous pour juger de l’intensité de la souffrance de la personne atteinte d’une maladie incurable quand elle estime nos traitements insuffisamment efficaces et leurs effets secondaires insupportables ? Surtout quand ces derniers altèrent la conscience et la pleine lucidité et conduisent à la privation de la capacité à disposer d’elle-même ? Au contraire, nous pouvons faire entendre cette parole du patient.
Il ne s’agit pas d’opposer les soins palliatifs, qui prennent en charge avec grande qualité des personnes présentant une maladie incurable avec pronostic vital engagé, et l’aide médicale à mourir. Les personnes présentant une maladie incurable et jugeant que leur existence est intolérable malgré nos traitements doivent aussi avoir le choix de partir après discussion collégiale. Nos collègues médecins belges, comme d’autres, lorsqu’ils sont confrontés à une demande d’aide médicale à mourir par une personne, pratiquent depuis longtemps cette concertation, où la personne est l’interlocutrice essentielle d’un dialogue coconstruit entre soignant et soigné.
Chez nous, la loi Claeys-Leonetti permet « délibérément » le laisser-mourir depuis 2016. Utiliser l’expression « laisser mourir » pour ce qui paraît être déjà une euthanasie passive n’est-il pas surprenant ?
La Haute Autorité de santé fait en effet depuis 2020 la différence entre la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès (SPCMD) et l’euthanasie par le moyen employé : l’arrêt des traitements indispensables à la vie pour la première, l’administration d’un produit létal pour le second. Mais elle différencie également les deux par l’intention et la temporalité : l’intention de la SPCMD est de soulager une douleur réfractaire, celle de l’euthanasie de répondre à la demande de mort du patient ; concernant la temporalité, l’euthanasie provoque la mort rapidement, tandis qu’avec la SPCMD la mort survient dans un temps qui ne peut pas être prévu.
Soin ultime
Mais la Haute Autorité de santé souligne que dans le cas de la SPCMD « l’hydratation fait partie des traitements qui devraient être arrêtés ». Or, l’interruption de l’hydratation conduit à l’insuffisance rénale terminale. Peut-on affirmer que le décès est seulement « dû à l’évolution naturelle de la maladie » ? Et, comme le souligne Régis Aubry, ancien président de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, rapporteur auprès du Comité national d’éthique, il est impossible de savoir si la soif est absente lors de l’arrêt des liquides chez un patient sédaté. Ainsi, non seulement le « laisser-mourir » et l’euthanasie sont plus proches qu’il n’y paraît, mais la SPCMD pose un certain nombre de problèmes éthiques.
Il y a plus de 2 400 ans, Hippocrate a offert aux soignantes et soignants un chemin humaniste qui nous oblige : celui de « respecter toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions, de ne pas prolonger abusivement les agonies, de faire tout pour soulager les souffrances ». Son serment s’est adapté pendant des siècles aux évolutions sociétales, législatives et médicales, et notamment au droit à l’interruption volontaire de grossesse.
Ouvrons la possibilité de choisir ce soin ultime qu’est l’aide médicale à mourir aux personnes présentant une maladie incurable qui en font la demande libre, lucide et réitérée en pleine conscience, grâce à une loi respectant l’éthique que ce cher Hippocrate nous a léguée. Les déclarations récentes d’Emmanuel Macron constituent un premier pas sur ce chemin.
Parmi les signataires : Brigitte Aelbrecht, médecin généraliste ; Nathalie Andrews, accompagnatrice ; Eida Bui, médecin, cheffe de service de polyclinique médicale à l’hôpital Saint-Antoine AP-HP ; Jean Daquin, médecin gynécologue ; François Guillemot, médecin gastro-entérologue, ancien chef de service ; Denis Labayle, médecin gastro-entérologue, ancien chef de service ; Sandra Laberthe, infirmière coordinatrice ; Jacques Orvain, ancien directeur des études et de la recherche de l’Ecole nationale de la santé publique (Rennes) ; Bernard Senet, médecin généraliste ; Alfred Spira, médecin de santé publique, membre de l’Académie nationale de médecine.
Retrouvez ici la liste complète des signataires.
Liste des signataires au 14/03/2024
Denis Labayle, Médecin gastro-entérologue Ancien Chef de service
François Guillemot, Médecin gastro-entérologue Ancien Chef de service
Alfred Spira, Médecin de santé publique, Membre de l’Académie de Médecine
Laurence Detourmignies, Médecin Hématologue, Chef de Pole Médical
Jean Daquin, Médecin gynécologue retraité
Bernard Senet, Médecin généraliste retraité
Eida Bui, Médecin Cheffe de service de Policlinique Médicale
Lucie Ammeux, Médecin généraliste
Dominique Thie, Infirmière retraitée
Isabelle Huel, Infirmière libérale
Marcelle Bervelt, Infirmière retraitée
Pierette Bouvier, Infirmière retraitée
Jacques Orvain, Ancien Directeur des Etudes et de la Recherche de l’Ecole Nationale de la Santé Publique
Marie Hélène Braudo, Médecin généraliste
Nathalie Andrews, Accompagnatrice
Claire Mathiot, Médecin hématologue
Claude Jouve, Médecin généraliste
Evelyne Claire Brachet, Infirmière
Perrine Brachet Barato, Infirmière
Didier Zellner, Cadre kinésithérapeute
Eliane Katz, Médecin généraliste retraitée
Chantal Calmat, Médecin anesthésiste retraitée
Alain Arnaud, Ingénieur Hospitalier retraité
Gilberte Brion, Médecin généraliste
Christine Cans, Médecin généraliste retraité
Marc Portier, Médecin généraliste
Claudine Jullien, Médecin généraliste
Denis Rousseau, Médecin anesthésiste retraité
Marie Thérèse Duault, Médecin généraliste retraité
Jeanne Marie Ehster, Médecin généraliste
Eve Pellotier, Médecin généraliste retraitée
Monique Berthomé-Bel, Infirmière
Evelyne Claire Brachet, Médecin généraliste
Noëlle Messina-Peretti, Infirmière
Philippe Faucher, Médecin généraliste
Gilberte Brion, Infirmière puéricultrice
Françoise Legoff, Médecin gynécologue
Christine Stevenard, Médecin psychiatre
Philippe Faucher, Médecin gynécologue
Guillaume Gérard, Médecin gynécologue
Marie Laurence Munch, Médecin généraliste
Brigitte Aelbrecht, Médecin généraliste
Ciril Morisot, Ancien Médecin pédiatre Chef de service
Pierre Airaudi, médecin généraliste Addictologue retraité
Jean-Pierre Biaussier, Médecine Physique et de Réadaptation.
Pascal Bouhier, Médecin généraliste gériatre en cabinet et EHPAD
Sandra Laberthe, Infirmière coordonnatrice
Élisabeth Condamines, Médecin généraliste retraitée
Bernard Topuz, Médecin généraliste et psychothérapeute
Odile Marconnet, Ergothérapeute
Andrée Gutierrez, Infirmière retraitée
Madeleine Lepretre, Médecin retraitée
Françoise Rozan, Médecin généraliste
Alain Siary, Médecin généraliste et formateur
Nicole BORNSZTEIN, médecin généraliste retraitée
Ana María Chouillet, Médecin généraliste retraitée
Monique Santoul, Médecin anesthésiste retraitée
Ghislaine Deklunder, MCU-PH retraitée
Ouri Chapiro, Médecin du travail retraité
Pierre Blanchet, Psychothérapeute
Delphine Bethegnies, Psychothérapeute
Serge Vidal, Accompagnateur en soins palliatifs
Marie-Pierre Capitaine, Infirmière retraitée
Lyonel Baum, Médecin généraliste
J ai vu des personnes atteintes d Alzheimer réduites à un état de sous humanité et abandonnées de par leurs proches Je sais qu elles auraient préféré partir avant cette dégradation. Comment réfléchir à cela ? Comment légiférer ?