Aide à mourir : « Pourquoi cette loi si réclamée par les Français met-elle tant de temps à aboutir ? »
Tribune parue dans Le Monde le 05/11/2025
Par Denis Labayle – Ancien chef de service hospitalier
Le médecin et porte-parole de l’association Le Choix-Citoyens pour une mort choisie, Denis Labayle, retrace, dans une tribune au « Monde », l’histoire des récents débats parlementaires concernant la fin de vie et s’interroge sur le retard de la législation française en la matière, comparativement à nos voisins européens.
Une fois encore, la loi sur la fin de vie est retardée. En reportant sine die le débat, le Sénat bloque les deux lois votées majoritairement par l’Assemblée nationale en juin 2025. Rien ne justifie ce report, puisque la question du budget qui va occuper les députés laisse du temps aux sénateurs pour donner leur avis.
Comment se fait-il qu’une loi réclamée par 80 % des Français depuis vingt-cinq ans ait tant de difficultés à aboutir ? Depuis des années, tout a été fait pour refuser aux malades atteints d’affections graves et incurables le droit de choisir entre soins palliatifs et aide active à mourir. Sans créer de frontière entre les deux, la loi Leonetti de 2005 avait rappelé l’illégalité de l’acharnement thérapeutique, déjà affirmée dans le code de déontologie médicale, le droit pour le malade de refuser les traitements, déjà affirmé dans la loi Kouchner.
Elle avait insisté sur l’importance du développement des soins palliatifs, mais s’était refusée à aborder le droit à l’aide active à mourir. Il a fallu attendre dix ans et l’élection de François Hollande [le 6 mai 2012] pour en rediscuter, le nouveau président l’ayant présenté comme la grande loi de son quinquennat. Or, si la loi Claeys-Leonetti [de 2016] rappelle les principes déjà adoptés dans la loi de 2005, si elle insiste une fois de plus sur les soins palliatifs, elle refuse d’aborder réellement le droit à l’aide active à mourir.
Une ovation debout des députés
Certes, l’intitulé de la « sédation profonde et continue jusqu’au décès » laisse espérer un véritable changement, mais les règles d’application de cette sédation se révélèrent aussi critiquables dans ses indications ultra-restrictives que dans sa méthodologie discutable pour nombre de médecins, aboutissant à des agonies prolongées et inutiles.
En somme, la question de l’aide active à mourir n’avait pas été réellement abordée. Pourtant, dès 2015, trois propositions de loi allant dans le même sens, issues de trois partis politiques différents, furent déposées sur le bureau de l’Assemblée nationale. Déposées, mais jamais débattues ! Il fallut attendre le 8 avril 2021 pour que le député de Charente-Maritime Olivier Falorni [groupe Les Démocrates] profite d’une « niche parlementaire » pour ouvrir de nouveau le débat.
A plus de 80 %, les députés votèrent le premier article de son projet portant sur le droit à une aide médicale à mourir. Un résultat marquant, suivi d’une ovation debout des députés. Hélas, 4 000 amendements déposés par une poignée d’opposants empêchèrent le projet d’être mené à bien. Trois mois plus tard, 296 députés de toutes tendances politiques réclamèrent au premier ministre de l’époque, Jean Castex [3 juillet 2020-16 mai 2022], de remettre le débat à l’ordre du jour au Parlement. La réponse fut négative.
Le président de la République s’est alors contenté d’une convention citoyenne qui mit près de deux ans à se mettre en place. Après des semaines d’étude assidue, cette convention a confirmé à 75 % le choix des Français, proposant soit le suicide assisté comme en Suisse, soit l’aide médicale assistée comme en Belgique, soit les deux. Le gouvernement promit d’en tenir compte, mais mit près d’un an à concrétiser sa proposition, ouvrant la voie au seul suicide assisté, réservant l’aide médicale à mourir aux cas d’incapacité physique à agir soi-même. Une proposition incomplète, mais un progrès indiscutable.
Nouveau report, nouveaux députés, nouveaux débats
La loi était sur le point d’être adoptée, mais la dissolution de l’Assemblée nationale [le 9 juin 2024] fut décidée quelques jours à peine avant le vote. Nouveau report, nouveaux députés, nouveaux débats pendant un an avant que les élus approuvent à une large majorité les deux lois, celle sur les soins palliatifs et celle sur l’aide active à mourir, la limitant toutefois au suicide assisté.
Pourtant, la commission parlementaire avait estimé justifié d’offrir au malade le choix entre suicide assisté et aide médicale à mourir. Il a suffi d’un vote, un vendredi en fin d’après-midi [le 30 mai 2025], pour qu’une petite centaine de députés sur un total de 577 éliminent toute possibilité d’aide médicale. Dommage, le Parlement avait une occasion unique de voter une loi originale, une vraie loi à la française, basée sur la liberté de choix. Allait-on enfin, après tant de tergiversations, répondre à l’attente des malades ?
C’était sans tenir compte des aléas de la vie politique française et de la volonté du Sénat de s’opposer d’une façon ou d’une autre à la loi, ou tout au moins de la retarder le plus possible et de l’édulcorer au maximum. Alors pourquoi cette loi si réclamée par les Français met-elle tant de temps à aboutir ?
Pourquoi, alors que nous avons l’arrogance d’être des pionniers de la liberté, accusons-nous un tel retard, quand nos voisins ont évolué avant nous depuis de nombreuses années ? Pourquoi la France, qui se dit le pays des droits de l’homme, la nation des libertés, refuse-t-elle d’accorder aux malades cette ultime liberté ? Les élus auraient-ils oublié qu’ils ne sont pas immortels et devront un jour affronter cette étape essentielle de la vie ?
Denis Labayle est ancien chef de service hospitalier, porte-parole de l’association Le Choix-Citoyens pour une mort choisie, et l’auteur du livre Le Médecin, la liberté et la mort. Pour le droit de choisir sa fin de vie (Plon, 2022).







