Procès au Tribunal correctionnel de Paris
Comptes-rendus journaliers
Lundi 15 septembre
Ouverture du procès : La séances a débuté vers 13h30 dans une salle assez grande à la sono défaillante. Ce qui était frappant était la multitude de têtes aux cheveux gris ou blancs…
L’un des avocats de l’association Ultime Liberté (UL) a remis un « pavé » à la présidente du tribunal. Il s’agissait de la QPC (Question prioritaire de constitutionnalité) qui tenait à cœur à UL, espérant, entre autres, que son étude permettrait d’ajourner la tenue du procès. Dépôt assez tardif.
Puis chaque prévenu est venu se présenter à la barre à l’appel de la présidente, dont un a poliment demandé s’il pourrait sortir de temps à autre de la salle pour aller aux toilettes, ce qui a confirmé combien ces prévenus étaient de dangereux trafiquants !
En fin de séance, la procureure (qui semble, comme la présidente assez jeune) s’est lancée, pendant une vingtaine de minutes, dans ce qui s’apparentait à un pré-réquisitoire !
Merci à Maître Laurence Bedossa d’avoir réagi à la diatribe de la procureure… seule avocate à l’avoir fait.
Pour rappel, Ultime Liberté a pris deux avocats pour la défense de la majorité des prévenus, deux autres prévenus ont quitté cette association et chacun pris leur propre avocat et la défense du Dr Bernard Senet est assurée par l’avocate du Choix, Maître Bedossa.
Mardi 16 septembre
Comme hier, après le rituel « éteignez vos téléphones » et double vérification par les policiers aidant même certains à éteindre leur portable, nous entrons dans une salle, plus petite que celle du premier jour.
A l’ouverture de la séance, la présidente du tribunal annonce – que le tribunal correctionnel de Paris a décidé de ne pas transmettre la QPC « question prioritaire de constitutionnalité » déposée la veille par les avocats de la défense. Ce qui signifie que le procès va suivre son cours.
Elle explique longuement et clairement ce qu’est le pentobarbital, son origine, sa présentation, le nom de la personne qui, au Mexique, recevait les commandes et les expédiaient en Europe.
Deux témoins sont appelés par Ultime Liberté : le premier, dame aux cheveux gris, explique qu’une cousine habitant l’Ouest de la France s’était retrouvée dans une situation de santé sans issue entrainant des douleurs inapaisables. Le témoin explique qu’elle connaissait une personne dont un proche était mort sans utiliser le produit obtenu au Mexique et qu’elle avait pu en faire bénéficier sa cousine, qui était morte paisiblement entourée de ses enfants et du témoin. La présidente lui a demandé si elle avait acheté le produit ? Oui ! Laissant ainsi entendre qu’elle avait acheté à un tiers une dose (trafic… ?). Il a aussi été demandé au même témoin si Ultime Liberté ne disposait pas du produit dans la région concernée ? Oui, cela arrivait mais pas au moment nécessaire pour la cousine (ce qui pourrait être pris pour le fait qu’Ultime Liberté avait parfois des » doses volantes »… )
Ensuite une femme, tenant des feuillets en main, craignant que l’émotion l’empêche de parler, est appelée à témoigner de la mort de sa mère qui détenait le produit incriminé . Elle souhaitait lire son témoignage, impossible lui répond la présidente. D’une voix émue, ce témoin évoque la fin de vie de sa mère qui semble-t-il avait déjà fait des tentatives de suicide et n’en pouvait plus.
Ces deux témoignages étaient pleins d’humanité. Ces deux femmes à qui Maître Verra pose la question : «S’il y avait eu un dispositif légal comme celui qui n’attend que d’être voté par le Sénat, elle y aurait eu recours ? », les deux femmes ont clairement acquiescé. Toujours appelé par UL, un psychiatre venu témoigner n’a pas semblé convaincant, entre autres quand la présidente lui a demandé s’il estimait que des limites devaient être fixées en cas de maladie psychiatrique.
La veille, la procureure avait insisté sur la position du ministère public : que ce procès ne soit pas un débat sur la fin de vie. Mais dès ce deuxième jour, il est constaté que les auditions des témoins se sont essentiellement concentrées sur la liberté de choisir sa mort.
Pour une personne non familière des tribunaux, dans le public, certains se sont posé la question de la préparation des témoins par les avocats d’Ultime Liberté.
Jeudi 18 novembre 2025
L’audience s’ouvre dans une salle également plus petite que celle du 15 septembre, mais avec semble-t-il une salle où les visiteurs peuvent suivre par visioconférence. Les visiteurs, sont comme les jours précédents portables éteints sous l’œil vigilant des policiers. Nous allons entendre trois témoignages
Un journaliste engagé de longue date dans le combat pour une loi :
François de Closets ouvre la séance, il témoigne en faveur de Bernard Senet.Il rappelle d’entrée les liens d’amitié qui le lie à ce médecin depuis 20 ans, compte tenu de son engagement dans plusieurs combats, de son humanité, pas seulement pour les malades en fin de vie, mais aussi, par exemple, pour des malades atteints du Sida. Debout à la barre, pendant une heure et demie, sans aucune note écrite, il rappelle son combat personnel en faveur d’une aide à mourir , l’enquête qu’il a menée il y a 20 ans auprès de médecins et de soignants dont il tire un livre « La dernière liberté » publié en 2001. Il rappelle l’émission de Ménie Grégoire, l’hypocrisie qui règne : les médecins soulagent des malades mais ne le disent pas, sauf Bernard Senet qui a eu le courage de l’annoncer publiquement. Il rappelle le cas dramatique de Vincent Humbert en 2020 qui a défrayé la chronique sans faire bouger les politiques . Il rappelle l’origine en France des soins palliatifs , par des médecins catholiques dont l’objectif était de lutter contre le recours à l’aide à mourir. Cela alors que les pays autour de nous ont développé , aide à mourir et soins palliatifs sans barrière ni opposition. La loi aujourd’hui en vigueur est dépassée, elle ne répond pas aux attentes de la société. C’est la même situation qu’avant le vote de la loi sur l’autorisation de l’IVG. Le présent procès, comme celui de Bobigny, fera peut-être bouger les lignes.
Répondant à la question de la Présidente voulant savoir s’il considère que cette dernière liberté doit être « totale ». Il précise qu’il « hait le suicide », l’aide à mourir a pour objectif de libérer des malades, s’ils appellent à l’aide, pour qu’on les délivre d’une situation médicale sans issue et dont le quotidien n’est fait que de souffrances. Malgré l’interdiction, quelques applaudissements saluent la fin de son témoignage .
Véronique Fournier : Le cas de la grande vieillesse
Lui succède le docteur Véronique Fournier, citée par la défense d’Ultime Liberté. Lisant ses notes, Véronique Fournier, en tant que fondatrice du CNaV ( Conseil auto proclamé de la vieillesse ) rappelle avec humour que ceux et celles qui les ont rejoints correspondent en fonction de l’âge à trois catégories : les « jeunes vieux », les « vieux-vieux » et les « très vieux » Dans son témoignage elle met l’accent sur la très grande vieillesse, notamment des femmes , pour lesquelles elle a écrit un livre « sept vieilles dames et la mort ».
La peur de mal mourir, c’est moins l’agonie, que celle de vivre une période très longue (compte tenu des progrès de la médecine) au cours de laquelle la qualité de la vie se détériore profondément, par de multiples pathologies dont on ne guérit pas. Ces multiples pathologies condamnent les très vieilles personnes à vivre dans une dépendance subie dont elles peuvent souffrir profondément et qui les conduit à vouloir mourir . La loi en discussion n’offre pas de solutions à cette souffrance existentielle , alors que ces pathologies sont incurables et qu’en Belgique et en Suisse , elles sont reconnues comme ouvrant la possibilité d’une aide à mourir ou au suicide assisté.
En réponse aux questions qui lui sont posées par le tribunal et les avocats, elle précise que le serment d’Hippocrate, doit être compris dans son contexte historique. Elle rappelle que le métier de médecin est d’accompagner le malade dans sa souffrance, et par conséquent l’euthanasie est un acte de soin.
Ce n’est pas le développement insuffisant des soins palliatifs qui motive les demandes d’aide à mourir, celles-ci sont d’une autre nature. Face à une demande d’aide à mourir, le médecin doit vérifier que les conditions imposées par la loi sont respectées. C’est le malade qui demande et le médecin qui consent. Elle précise également que dans les pays qui ont légiféré (comme la Belgique) 90% des malades demandent une aide à mourir ,assuré par un médecin plutôt qu’un suicide assisté, qui n’est pas efficace à 100%
Un prélat qui défend une autre église et bouscule le clivage entre croyant et non croyant sur la question de la fin de vie.
Pour le troisième témoignage, s’avance à la barre le Père Gilles-Marie en soutane, 60 ans, témoin de Bernard Senet.
Le Pére Gilles-Marie remet en cause le dogme de la défense de la vie à tout prix en s’appuyant sur l’exemple de son père .Diagnostiqué d’un cancer , quand il a été en phase terminale celui-ci lui a fait jurer de l’aider à mourir. Cette demande le mettait face à un dilemme par rapport à son engagement religieux : fallait-il laisser son père vivre un enfer ? Le Père Gilles-Marie a choisi d’aider son père. Quand la souffrance s’installe le médecin doit entendre la demande d’un malade qui « a gardé toute sa tête » .Il considère qu’une sédation longue est une euthanasie déguisée mais qui n’est pas exempte de souffrances .Son père admis en soins palliatifs avait des rictus qui étaient le contraire de l’endormissement serein. La mort en soins palliatifs est une mort subie qui prive l’individu de son libre arbitre.
De quelle église parlons-nous ? s’interroge-t-il.
Celle de l’inquisition ? celle qui a obligé Galilée à se rétracter ? d’une église pyramidale, « hors sol », étrangère aux préoccupations des fidèles.
Il n’appartient pas à cette église , c’est pourquoi ayant pris contact avec Bernard Senet sur les réseaux sociaux, il s’est senti partager les mêmes valeurs.
Il s’insurge contre le focus du tribunal sur l’importation de produits illicites , choisi pour éviter un vrai procès sur l’aide à mourir.
Dieu dans tout cela ? interroge la Présidente ? Dieu ne s’intéresse pas aux « turbulences » de la terre « Dieu c’est ce qui permet de poursuivre le chemin, c’est un Dieu de grâce et d’amour .C’est ce qui conduit à accompagner, aider . L’euthanasie peut être un acte d’amour et de charité. »
Le Père Gilles Marie est conscient qu’en venant témoigner pour le Docteur Senet ,il a dépassé son devoir de réserve et sera sanctionné par les autorités ecclésiastiques.

Le père Gilles-Marie, le journaliste et écrivain François de Closets, avec Maitre Laurence Bedossa et Bernard Senet – 18/09/2025
Vendredi 19 Septembre :
L’audience est prévue pour entendre quatre témoins cités pour le docteur Bernard Senet :
Un malade en rémission de cancer, mais serein :
Le témoin âgé de 73 ans est un ancien journaliste et éditeur de presse . C’est au cours de combats sociétaux , il y a dix ans qu’il a rencontré le docteur Bernard Senet. Il a une profonde admiration pour Bernard Senet : son humanité , l’accord profond entre la pensée et les actes , tant dans l’exercice de sa profession de médecin de familles , que dans ses activités militantes , notamment auprès de femmes excisées , et de migrants.
Très marqué par la mort dramatique de son propre père, quand lui-même a été diagnostiqué d’un cancer ,il a sollicité Bernard Senet. Il cherchait un moyen de mettre fin à sa vie si le cancer le confrontait à une situation analogue à celle de son père. Bernard Senet a pris le temps de l’écouter, de le faire douter et réfléchir pendant un délai de trois à quatre mois .Devant son insistance il lui a donné une adresse. Le témoin souligne que le fait d’être en possession du produit lui a redonné à la fois de la sérénité de « la vigueur », l’envie de se battre, de le remettre dans une dynamique de vie. Actuellement son cancer est en rémission depuis quatre ans .
En réponse aux questions qui lui sont posées par la présidente, les assesseurs et les avocats, le témoin précise qu’il est adhérent aux trois associations : ADMD, le Choix et Ultime Liberté. Il prend le soin de préciser que Bernard Senet n’est pas intervenu dans l’acte d’achat, et qu’il lui a donné l’adresse parce qu’il connaissait bien son dossier médical. Sa famille est au courant de sa démarche.
La témoin souligne également qu’il s’est adressé à Bernard Senet plus à cause de son engagement fraternel, ses liens d’amitié que parce qu’il était médecin.
Témoignage du médecin François G… Porte-parole d’une pratique de soin jusqu’au bout
François G., médecin hospitalier prend la parole au nom des médecins qui, comme Bernard Senet, ont accompagné des personnes atteintes de maladies graves et incurables, endurant des souffrances physiques et/ou psychiques intolérables, associées à la maladie et sans alternatives thérapeutiques crédibles.
Il affirme que, dans certains cas, ces médecins ont apporté une aide médicale à mourir ; en conscience, dans le respect de l’autonomie et de la dignité des personnes. Cet acte n’était ni un geste de désespoir ni un abandon, mais un soin exceptionnel s’inscrivant dans la continuité d’un accompagnement jusqu’à la fin de vie.
Il explique que ces démarches ont toujours été effectuées à la demande des patients ,avec l’information des familles et des proches.
Il précise avoir recherché des médecins référents en Belgique, saluant leur empathie et leur humanité, ainsi que les cadres juridiques rigoureux qui encadrent ces pratiques. Il précise en réponse à une question qu’il attache beaucoup d’importance à la collégialité, sollicitant toujours l’avis d’un confrère.
Il reconnaît également avoir, selon les cas, modifié les modalités de sédation terminale, maintenu l’hydratation ou adapté — voire arrêté — des traitements invasifs lorsque les patients exprimaient clairement que leur existence était devenue une survie insupportable.
Il affirme que ces choix visaient toujours à respecter la liberté et le choix conscient des personnes concernées. Pour cela, il informe toujours le malade des solutions alternatives à l’aide à mourir. Il illustre son propos par trois cas de malades qu’il a pris en charge : une maladie neuro dégénérative, la maladie de Charcot qui peut conduire le malade à mourir d’étouffement et deux cas de cancer incurables.
Il rappelle que Bernard Senet a, de longue date et publiquement, témoigné de ses pratiques et de son engagement éthique envers les demandes d’aide à mourir.
Il ajoute que la justice fera son office concernant son collègue, mais que, pour eux, l’essentiel est de placer la volonté de la personne en détresse au centre de la décision finale.
En réponse aux questions posées par le tribunal et les avocats, il reconnait qu’il pourrait lui aussi, être devant un tribunal correctionnel. Il regrette le décalage entre la loi et les demandes sociétales. Enfin il espère que son témoignage fondé sur la réalité de leur pratique éclaire de façon transparente le débat public et législatif sur la fin de vie.
Témoignage d’une collègue, amie de longue date de Bernard Senet
Psychiatre à la retraite âgée de 71 ans , elle s’avance à la barre très émue. Elle connait Bernard Senet depuis 1974, au sein de groupes d’autoformation de médecins et de groupes Balint, ainsi que dans l’association Alzheimer. Homme d’engagement, il a aidé également des personnes en détresse à ne pas se suicider.
Elle a abordé la question de la fin de vie pour sa mère alors âgée de 89 ans, très active, ayant à cœur d’être le sujet de sa vie. Elle ne voulait pas vivre la perte d’autonomie de la grande vieillesse. Sa mère réitérant sans cesse sa demande , au bout de deux ans , Bernard Senet lui a communiqué l’adresse courriel. Avec son mari, elle a commandé le produit.
Celle-ci a absorbé le produit en présence de ses proches et après une dernière photo de famille. Le témoin fait partie des personnes qui ont été perquisitionnées , elle a préféré dire la vérité aux gendarmes sur les circonstances de la mort de sa mère.
En réponse aux questions posées par le tribunal , la témoin souligne que Bernard Senet n’est pas intervenu dans la commande du produit , mais a il aidé sa mère à réfléchir , à murir sa décision au cours de ces deux ans, à choisir en toute connaissance de cause. Elle a conscience d’avoir commis une infraction , mais elle considère que ce n’était pas illégitime, elle a agi par amour pour sa mère.
Témoignage d’un médecin de soins palliatifs ami et collègue de Bernard Senet
Médecin à la retraite âgé de 81 ans ,il a fait sa carrière dans les soins palliatifs, mais a beaucoup travaillé avec Bernard Senet qui pour lui représente le médecin de famille exemplaire. Il partage l’éthique de Bernard Senet sur la fin de vie .
Il explique avoir aidé un ami atteint d’un cancer glioblastome au cerveau .Cet ami voulait mourir avant le stade de l’incontinence totale et refusait de mourir en soins palliatifs « je ne veux pas de couches ». Le médecin explique qu’il a commandé tout seul le pentobarbital en cherchant sur le net.
Il a gardé le produit deux mois chez lui, attendant que son ami ait atteint le stade qu’il ne supporterait pas et le lui demande . C’est lui qui l’a aidé à absorber la potion.
Il a été perquisitionné, car il avait commandé une seconde dose, pour d’autres personnes.
En réponse à des questions posées par le tribunal et les avocats, il n’a jamais commandé de produit avant la demande de son ami. Son ami ne souffrait pas physiquement , il aurait souffert d’une atteinte à sa dignité de devoir vivre avec des couches .C’est pourquoi les soins palliatifs ne pouvaient répondre à sa détresse.
Il n’a jamais effectué d’aide à mourir dans le cadre de l’hôpital où il exerçait, cela aurait été en contradiction avec le contrat moral qu’il avait vis-à-vis de l’institution. Il précise en outre qu’il a accédé à la demande de son ami, car il était atteint d’une maladie incurable, exprimait une demande constante, et éclairée. Il a trouvé l’adresse pour commander le produit en cherchant sur le net, après avoir eu l’information dans un cadre privé.
Si avec ces témoignages là, Bernard Senet a la moindre condamnation, c’est à désespérer de l’Intelligentsia française, responsables religieux y compris!