Fin 2019, après avoir accompagné et partagé les souffrances de ma mère atteinte de la maladie de Charcot durant plus de 4 ans, mon père rédige ses directives anticipées et il me désigne personne de confiance.
Je suis sa fille unique. Mon père est parfaitement clair sur ce qu’il ne veut pas pour sa fin de vie : il refuse tout acte ou traitement médical qui viseraient à le maintenir artificiellement en vie dont l’alimentation et l’hydratation artificielles, il indique vouloir bénéficier d’une sédation profonde et continue associée à un traitement de la douleur.
Le 12 décembre 2020, mon père sera victime d’un AVC hémorragique qui entraîne en quelques heures une paralysie de son côté gauche, jambe, bras, tronc, visage. Trois jours plus tard, son état est devenu irréversible, le saignement cérébral continue, il ne pourra plus jamais boire ou manger, il ne pourra plus reparler, il ne pourra plus remarcher.
» J’exige que ses directives anticipées soient respectées présentement,
médecin et interne refusent : « le pronostic vital de votre père n’est pas engagé. «
Ce que vous demandez est une euthanasie, c’est interdit par la loi ». Une sonde nasale visant à l’alimenter lui sera posée à deux reprises malgré son refus clairement exprimé dans ses directives anticipées. Mon père souffre à chaque mobilisation, il est extrêmement angoissé par la dépendance irréversible dans laquelle il a glissé : il sait qu’il est hémiplégique, aphasique et que sa paralysie d’une partie du visage le condamne à ne plus pouvoir être alimenté per os. Je suis seule face au corps médical, face aux sachants, « son pronostic vital n’est pas engagé … ». Désemparée, j’envisage la signature d’une décharge, on me prévient que je le condamne alors à mourir étouffé…
C’est dans cette situation d’extrême impuissance à lui épargner des souffrances inutiles qu’au hasard de recherches sur les protocoles belges ou suisses, je lis un article présentant le combat de Claudette Pierret pour une fin de vie digne et choisie. Quelques heures seulement après avoir posté un SOS sur un réseau social, Mme Pierret me contacte, m’écoute, me rappelle les termes de la loi Claeys-Léonetti, m’assure de son soutien et me propose d’entrer en relation avec le docteur Bernard Senet. 12 heures plus tard, dimanche matin, le docteur Senet m’appelle, me questionne sur l’état de santé de mon père, la localisation et l’étendue de l’hémorragie, les examens pratiqués. Clair, factuel, pédagogue, il m’expose la réalité médicale, me conseille sur la démarche à suivre pour faire appliquer la loi et strictement la loi.
» Pas de place au prosélytisme ni aux jugements de valeur,
mais une recherche désintéressée de faire strictement appliquer les directives anticipées de mon père. «
Face aux atermoiements du corps médical et à leurs hésitations sur la mise en place de la procédure de sédation longue et profonde, mes menaces de demander une intervention d’huissier et la maitrise des protocoles par le docteur Senet permettront finalement à mon père de partir en me tenant la main 48 h avant Noël. A posteriori, le médecin en charge de mon père reconnaîtra des dysfonctionnements, des erreurs de communication et ne me contredira pas lorsque je lui affirmerai que les souffrances de mon père auraient dû être soulagées 5 à 6 jours plus tôt …
Christine C..
Le 18 février 2021