Les opposants en appellent souvent à Robert Badinter, et plus exactement à cette phrase que l’ancien garde des Sceaux prononça le 16 septembre 2008 devant une mission sur la fin de vie à l’Assemblée nationale : « La vie, nul ne peut la retirer à autrui dans une démocratie ». La lettre d’Élisabeth Badinter que nous publions vient leur ôter l’argument. « J’ai pu constater que la parole de mon mari était instrumentalisée », y lit-on. La philosophe ajoute : « Mon mari n’a jamais assimilé aide à mourir et peine de mort […] S’il avait été parlementaire, Robert Badinter aurait soutenu ce texte ».
Ci-dessous la lettre publiée dans La Tribune : La lettre d’Élisabeth Badinter adressée à Olivier Falorni
Paris, le 17 avril 2024
Monsieur le Député,
Le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie débute son parcours parlementaire. Vous en êtes le rapporteur général.
Depuis de nombreux mois et plus encore récemment, j’ai pu constater que la parole de mon mari était utilisée, pour ne pas dire instrumentalisée, par des opposants à toute évolution législative sur ce sujet.
J’ai ainsi pu lire, dans une interview au journal La Tribune Dimanche, le président de la conférence des évêques de France déclarer que « Robert Badinter avait toujours dit son opposition à toute idée d’aide active à mourir ».
De même, dans une tribune au Figaro, la psychologue Marie de Hennezel affirmait que le refus de la légalisation de l’euthanasie avait été son « dernier combat ».
Ces déclarations péremptoires et tant d’autres utilisent principalement des citations extraites de l’audition de mon mari en septembre 2008 pour la mission d’évaluation de la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie.
Mon mari y avait en effet développé sa réflexion, ses souhaits et ses réserves.
C’était en 2008, il y a maintenant seize ans.
La caractéristique d’une pensée humaine, c’est de pouvoir s’interroger, c’est de vouloir cheminer, c’est de savoir évoluer. C’est souvent la différence entre un Homme et un dogme.
Robert Badinter était de ces Hommes qui refusaient de s’enfermer dans des certitudes, a fortiori sur une question aussi complexe et sensible que celle de la fin de vie.
Il vous l’avait d’ailleurs personnellement dit lorsqu’il vous avait reçu le 10 novembre 2021, à la suite de l’examen de votre proposition de loi en avril de la même année. Il vous avait affirmé son soutien à votre texte qui instaurait un droit à une aide active à mourir.
Il avait redit sa position en ma présence à la ministre déléguée chargée de l’Organisation territoriale et des Professions de santé en septembre 2023.
Alors que le débat parlementaire sur la fin de vie est désormais lancé, je tiens à l’affirmer fortement.
Mon mari n’a jamais assimilé aide à mourir et peine de mort.
Mon mari s’est forgé au fil des ans la conviction qu’une évolution vers une aide active à mourir était acceptable et même souhaitable dans certaines circonstances et selon des conditions précisément définies par la loi.
Je tiens donc à affirmer que, s’il avait été parlementaire, Robert Badinter aurait soutenu ce texte. Prétendre le contraire serait une trahison de sa pensée et de sa mémoire.
Connaissant votre engagement de longue date pour cette cause, et ayant désormais la mission de rapporteur général de cette loi, je tenais à vous adresser aujourd’hui ce message afin que vous puissiez le faire publiquement connaître si vous le jugiez nécessaire.
Je vous prie de recevoir, Monsieur le Député, l’expression de mes meilleures salutations.
Élisabeth Badinter
L’illustration mise en avant : Le couple Badinter lors d’une conférence de presse à Bruxelles, le vendredi 20 septembre 2013. (Crédits : © LTD / ABACAPRESS.COM)