L’euthanasie est toujours illégale au Pérou, à une exception près : celle d’Ana Estrada, qui souffre depuis l’âge de 12 ans d’une maladie auto-immune et irréversible qui atrophie les muscles, la poliomyélite. La justice a accepté sa demande jeudi 25 février.
Au Pérou, Ana Estrada, psychologue de 44 ans, est la figure de proue de la lutte pour la dépénalisation de l’aide médicale à mourir et pour le droit au suicide assisté. Même si ni la Constitution ni la loi ne reconnaissent ce droit, le juge Jorge Ramírez Niño de Guzmán a estimé, en première instance, que refuser l’assistance à la fin de vie d’Ana Estrada porterait atteinte à « ses droits à la dignité, à l’autonomie, à son libre choix ainsi qu’à son droit de ne pas subir de traitement cruel et inhumain ».
La loi pénalisant l’« homicide par pitié » ne sera pas appliquée
Selon le verdict rendu public le 25 février, le ministère de la santé et la sécurité sociale ont l’obligation de respecter la décision d’Ana Estrada « de mettre fin à sa vie par euthanasie, via l’administration par voie orale ou intraveineuse par un médecin de tout produit destiné à cette fin ». Selon l’article 112 du code pénal péruvien, l’acte d’« homicide par pitié » peut donner lieu à une peine allant jusqu’à trois ans de prison. Dans le cas d’Ana Estrada, cette loi ne sera pas appliquée.
Parlant à la radio RPP d’une « journée de beaucoup d’émotions », Ana Estrada a remercié tous ceux qui, depuis des années, ont porté sa voix et sans lesquels, précise-t-elle, « je n’aurais pas été écoutée aujourd’hui ». Réaffirmant son « respect total pour les croyances de tous, notamment de ceux qui croient que notre vie n’appartient qu’à Dieu », Ana Estrada a demandé que sa décision soit traitée avec le même respect.
Un blog pour faire connaître ses réflexions
Après avoir exercé sa profession de psychologue en chaise roulante mais sans aide extérieure, Ana Estrada a vu sa santé se dégrader en 2015. Après six mois en soins intensifs, elle a pu rentrer chez elle, mais vit prostrée sur son lit la plupart du temps, sous oxygène et surveillance médicale. C’est alors qu’elle a commencé à rendre publiques ses réflexions et émotions sur son blog.
Si son cas lui vaut aujourd’hui d’être une exception légale, c’est qu’Ana Estrada n’a pas voulu tricher. « J’ai économisé un temps pour pouvoir voyager en Suisse pour y être euthanasiée, a-t-elle reconnu dans un documentaire réalisé par les services du Défenseur du peuple, l’organisme public de protection du droit des personnes. J’aurais pu demander à un ami de m’aider discrètement à partir, mais je ne l’ai pas fait. » Ayant choisi de se battre pour le droit à une mort digne, Ana Estrada souhaite qu’on se souvienne d’elle « comme d’une femme qui a lutté, qui a haussé la voix malgré la peur ».
Un débat douloureux
Dans un communiqué de la Conférence épiscopale, les évêques péruviens ont indiqué « comprendre les souffrances d’Ana Estrada », mais critiqué la décision judiciaire car « l’euthanasie sera toujours un mauvais choix ».
Alors qu’un député a présenté le mois dernier un projet de loi pour régulariser le recours à l’euthanasie, vient donc de commencer une course de vitesse entre ceux qui souhaitent faire appel pour bloquer tout possible recours à l’euthanasie au Pérou et Ana Estrada, qui doit encore attendre que soit approuvée la procédure de son suicide assisté pour pouvoir en faire la demande.
Source :
« La Croix » – Eric Samson (à Quito) – 01.03.21